Journée d’études Représentation des identités dans la bande dessinée : enjeux de l’écriture et/ou de la traduction d’un scénario
13 juin 2025, salle Mélusine, MSHS
Université de Poitiers
La bande dessinée est depuis récemment envisagée comme un médium privilégié pour
représenter et étudier les variétés linguistiques (Giaufret, 2021 ; Pustka, 2022), tout comme les
aspects culturels et sociaux (Dacheux, 2014). Cette journée d’études a pour objet d’étudier la
manière dont les scénarios de bande dessinée relatent les expériences des minorités de genre,
ethniques, linguistiques, religieuses, socio-économiques, LGBTQIA+, handicapées ou
marginalisées, mais aussi comment la traduction participe à la diffusion et au respect de la
transmission de ces représentations à travers différentes langues et cultures.
La journée d’étude s’intéressera aussi bien à l’écriture des scénarios qu’à leur traduction :
Axe 1 : Langage et construction des identités en bande dessinée
La matinée sera consacrée aux choix linguistiques du scénariste pour construire les identités
de ses personnages. Ces choix – qu’il s’agisse de variations diatopiques, diastratiques,
diaphasiques ou d’autres marqueurs spécifiques – permettent de donner vie aux personnages
en leur attribuant une personnalité propre (Giaufret, 2021 ; Leis, 2024; Pustka, 2022). A ce
propos, Pietrini (2014 : 102) met en évidence l’importance du choix des mots dans la
construction de l’oralité fictive mise en œuvre par le “langage de la bande dessinée”.
Comme le souligne Benoît Peeters, les dialogues en BD ne sont pas « du dialogue parlé comme
au cinéma puisque personne ne le prononce, mais ce n’est pas du dialogue écrit comme dans
un roman parce qu’il mime quand même la parole » (Ratier, 2002 : 296). Ce paradoxe influence
directement la représentation des identités, notamment lorsqu’il s’agit de reproduire des
pratiques linguistiques liées à des groupes sociaux spécifiques (on pense par exemple aux
collégiens représentés par Sattouf dans La vie secrète des jeunes mais aussi à la série Paul de
Rabagliati qui représente le français québécois, à Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et
Clément Oubrerie pour le français parlé à Abidjan). L’emploi de formes d’oralité stylisée,
d’argot ou de tournures régionales permet d’ancrer les personnages dans un environnement
culturel et social précis, mais pose aussi de nombreuses questions liées à l’intention de l’auteur
dans ses choix pour donner vie à ses personnages et son rapport aux stéréotypes langagiers
éventuellement véhiculés. En quoi les représentations peuvent-elles basculer de l’authenticité
vers la stigmatisation ? Ces représentations sont de plus en plus présentes, en contraste avec
les bandes dessinées classiques. A ce propos, Glaude (2019 : 267) rappelle que “le français des
aventures de Tintin apparaît standardisé, débarrassé de toute trace ou presque de son contexte
de production belge”.
Dans ce contexte, le langage de la BD n’est pas qu’un simple procédé narratif : il devient un
véritable outil de représentation des identités. Comme l’indique Hennuy (2010), certaines
formes langagières fonctionnent comme des signes distinctifs qui participent à la construction
des appartenances sociales et culturelles. En ce sens, l’utilisation de variations spécifiques
(langue populaire, jargon professionnel, sociolectes…) dans la BD va au-delà d’une fonction
esthétique : la langue reflète des rapports de pouvoir, des dynamiques sociales et des prises de
positions idéologiques.
L’après-midi de la journée d’études sera consacrée à la traduction :
Axe 2 : Enjeux de la traduction des identités en bande dessinée
La traduction joue, quant à elle, un rôle essentiel dans la diffusion des bandes dessinées à
travers le monde entier. Toutefois, il s’agit d’un exercice complexe, notamment lorsqu’il faut
rendre compte des particularités linguistiques, culturelles et identitaires propres au scénario
original (Giaufret, 2017, 2020 ; Béghain et Licari-Guillaume, 2019). Traduire des récits qui
concernent des minorités – qu’il s’agisse de représentations de genre, d’ethnicité, de langue ou
d’autres dimensions sociales – implique de rester fidèle aux œuvres tout en les adaptant à divers
contextes culturels. Les dialogues doivent conserver leur spontanéité et leur expressivité tout
en s’adaptant aux contraintes de la langue cible. Comme l’ont souligné Delesse et Richet (2009
: 430), « les formes marquées du discours construisent régulièrement des arrêts contemplatifs
dans la narration », ce qui signifie que toute modification linguistique peut affecter le rythme
de lecture et la représentation/perception des personnages.
De même manière, certaines réalités sont « intraduisibles » : par exemple, en Turquie, un petit
pain rond en forme de couronne et traditionnellement vendu dans la rue s’appelle le “simit” or
dans Journal Inquiet d’Istanbul de Karabulut, il a été traduit par “donut” en français, ce qui
suppose un tout autre ancrage culturel. De même, certains jeux de mots ou références
culturelles ou tout simplement l’humour (Mälzer, 2022) peuvent perdre leur portée dans une
autre langue. Etant donné que l’image permet souvent de visualiser des marqueurs culturels,
on se demande ainsi dans quelle mesure il est préférable de conserver certains termes
(éventuellement avec une note du traducteur), de privilégier une traduction littérale pour
respecter le scénario original, ou bien une version plus libre pour garantir une meilleure
réception auprès du public visé.
Enfin, les formes non-standard, comme l’argot, les insultes ou les expressions populaires, qui
structurent les interactions sociales et participent à la construction d’une culture donnée
peuvent poser des difficultés au traducteur. La manière dont elles sont traduites peut ainsi
transformer la perception des personnages et modifier l’équilibre narratif initial.
Cette journée d’étude, qui s’intéressera à l’écriture de scénarios et à la traduction, soulignera
l’importance des choix linguistiques dans la construction et la transmission des identités à
travers la bande dessinée. Elle interrogera comment la bande dessinée, en tant que médium
mêlant texte et image, contribue à renouveler notre perception du langage et de ses enjeux dans
la représentation des minorités.
Bibliographie :
Dacheux, Éric (éd.). (2014). Bande dessinée et lien social (1‑). CNRS Éditions.
Giaufret, A. (2017). Traduire l’hostie de bédé: variation, plurilinguisme, realia. Paola Puccini, Fabio
Regattin (a cura di)“Le Québec en traduction”, Interfrancophonies, 8, 66-76.
Giaufret, A. (2020). Traduction et bande dessinée à Montréal au XXIe siècle. Interfaces
Brasil/Canadá, 20, 1-e20.
Giaufret, A. (2021). Montréal dans les bulles : Représentations de l’espace urbain et du français
parlé montréalais dans la bande dessinée. Québec : Presses de l’Université Laval.
Glaude, B. (2019). La bande dialoguée. Une histoire des dialogues de bande dessinée (1830-1960).
Hennuy, J. F. (2010). Questions de langage: Questions d’identité?. Nouvelles Études Francophones,
25(2), 27-38.
Leis, S. (2024). « Riad ? C’est breton ça ou quoi?» –La diversité des structures de l’interrogation
directe dans les bandes dessinées de Riad Sattouf. In SHS Web of Conferences (Vol. 191, p.
13007). EDP Sciences
Mälzer, N. (2022). Le transfert de l’humour dans les traductions allemandes de Spirou et Fantasio. La
bande dessinée : perspectives linguistiques et didactiques. Tübingen: Narr, 225-262.
Pietrini, D. (2014). Les marqueurs discursifs dans l’oralité fictive de la bande dessinée. Marqueurs de
discours, connecteurs, adverbes modaux et particules modales. Tübingen: Narr, 85-106.
Pustka, E. (2022). La bande dessinée–une ressource précieuse pour la linguistique et la didactique du
FLE. La bande dessinée : perspectives linguistiques et didactiques. Tübingen: Narr, 13-53.
Ratier, G. (2002). Avant la case: histoire de la bande dessinée francophone du XXe siècle racontée
par les scénaristes. Association pour la Promotion des Jeunes Auteurs de la Bande
Dessinée/Editions PLG.
Richet, B., & Delesse, C. (2009). Le Coq gaulois à l’heure anglaise : Analyse de la traduction anglaise
d’Astérix. Artois presses université.
Soumission des propositions
Pour contribuer, nous vous invitons à envoyer avant le 11 avril 2025 un résumé de votre proposition de
communication (titre, résumé et bibliographie), en français ou en anglais (500 mots soit environ 3000
signes), aux adresses suivantes :
laurie.dekhissi@univ-poitiers.fr
jeanne.vigneron.bosbach@univ-poitiers.fr
Vous devrez indiquer l’axe (cf. ci‐dessus) dans lequel s’inscrit votre proposition.
Merci de préciser votre affiliation (université/laboratoire de rattachement).
Les auteur·e·s des propositions retenues seront prévenu·e·s au plus tard le 18 avril 2025.
La journée d’études bénéficie du soutien financier du laboratoire FoReLLIS (UR15076) et de l’UFR Lettres et Langues.
La journée d’études est organisée dans le cadre du projet interdisciplinaire PRISM-BD (représentations des minorités dans la bande dessinée) qui bénéficie d’un soutien financier d’UPsquared, projet France 2030 « Excellences sous toutes ses formes » – ANR-21-EXES-0013)
Informations complémentaires
laurie.dekhissi@univ-poitiers.fr
jeanne.vigneron.bosbach@univ-poitiers.fr