CESCM : 70 ans d’excellence (1953-2023)
« Je rêve d’un Centre de recherche qui s’organiserait autour de l’art roman. Comme moyen de travail primordial, il y faudrait une photothèque spécialisée … d’art roman. Faites-la plus belle que Barcelone, plus belle que Marbourg… Une fois que, grâce à la photothèque, vous aurez placé vos bases de départ, les spécialistes des disciplines médiévales pourront venir travailler à Poitiers… ».
Ces paroles ont été prononcées par Gaston Berger, alors directeur général de l’enseignement supérieur au ministère de l’Éducation nationale, le 17 octobre 1953, lors de sa première entrevue avec Edmond-René Labande et René Crozet (source Collection privée Labande). Pour ce « philosophe du mouvement », tel que le surnommait Léopold Sedar Shengor, l’essence d’une civilisation ne pouvait être appréhendée que par son art. C’est pourquoi il souhaitait fonder son centre de recherche sur la civilisation médiévale autour d’une photothèque dédiée à l’art roman. Pour ces intellectuels marqués par la seconde guerre mondiale, la période xie-xiie siècles était celle d’une Europe avant celle des nations… Dans cette perspective, Gaston Berger voulait créer un réseau de médiévistes à travers l’Europe et le monde, une communauté d’intellectuels, dont le lieu privilégié de rencontres serait le Centre de recherche, « un institut d’Université », à Poitiers. Pourquoi Poitiers ? Outre l’ancienneté de la fondation de son université (1431), la ville et sa région sont riches en monuments médiévaux.
Si l’idée du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale revient à Gaston Berger, il trouve en Edmond-René Labande et René Crozet des interlocuteurs énergiques pour la mettre en œuvre. Dès 1953, les premiers cours du CESCM sont dispensés. L’enseignement s’y distingue par l’interdisciplinarité en conjuguant histoire, histoire de l’art et littérature et par la volonté de former les étudiants sur le terrain. Dès 1954, la première session d’été du CESCM – aujourd’hui Semaines d’études médiévales dont la 67e édition vient de s’achever – est ouverte et accueille des stagiaires du monde entier pendant quatre semaines : le réseau de médiévistes, cher à Gaston Berger, est en train de naître. La photothèque est dotée à la fin des années 60 d’une petite sœur, soutenue par le CNRS, le Corpus des Inscriptions de la France médiévale.
Le dynamisme est toujours vif aujourd’hui, dans l’Hôtel Berthelot, dont le bâtiment Renaissance sert d’écrin au laboratoire depuis les années 1960. Le CESCM, dépendant conjointement de l’Université de Poitiers et du CNRS, fête cette année son 70e anniversaire. En cette occasion, la « quatrième génération » de médiévistes qui anime le Centre souhaite partager autrement leur passion avec les collègues, les étudiants et amateurs du Moyen Âge, et puiser dans l’histoire l’inspiration pour de nouveaux projets aussi novateurs et ambitieux que la fondation du CESCM en 1953. Trois dates ponctueront cette célébration du septentenaire :
14 septembre, 18h-20h30
Le Moyen Âge et ses représentations au xxie siècle, table ronde animée par la romancière Clara Dupont-Monod
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15 septembre, 18h-20h30
Pourquoi étudier le Moyen Âge au xxie siècle ?, table ronde animée par le journaliste Emmanuel Laurentin |
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16 novembre, 18h30-20h
Conférence de Patrick Boucheron, Professeur au Collège de France sur la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, xiiiᵉ-xviᵉ siècles » |
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Les inégalités d’expression entre les élèves de maternelle
Les élèves issus des classes moyennes et supérieures sont plus enclins à participer aux discussions en classe que les élèves de la classe populaire (à niveau scolaire égal), selon une nouvelle étude menée en France par une équipe internationale de chercheurs auprès d’enfants de grande section. Ces résultats montrent également que ces différences de prise de parole sont perçues par les élèves comme la conséquence de qualités internes des élèves (par exemple, l’intelligence) plutôt que de facteurs externes (par exemple, les pratiques parentales).
Cette recherche composée de deux études parallèles, menée par Sébastien Goudeau (Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage – Université de Poitiers / CNRS), réalisée en collaboration avec le Rectorat de l’académie de Poitiers et publiée dans Journal of Experimental Psychology: General, apporte un nouvel éclairage sur la construction des inégalités scolaires liées au statut socio-économique (SES) dans les premières années d’école.
La fréquentation de l’école maternelle est bénéfique pour les élèves, particulièrement pour ceux de milieux populaires. Lors de ces premières années d’école, le langage occupe une place centrale dans les apprentissages et il est souvent perçu comme un outil au service de la réduction des inégalités préexistantes à l’école. Parmi les moments de langage, les moments de regroupements, durant lesquels tous les élèves sont assis ensemble autour de l’enseignant·e, existent à peu près dans toutes les écoles maternelles de France. Ces moments de regroupement peuvent avoir lieu plusieurs fois par jour et varier dans leurs contenus et objectifs (comme faire les rituels du matin, dire ce qu’on a fait à la maison le week-end, échanger autour d’un album de littérature jeunesse ou une œuvre artistique, ou même faire de la numération ou un débat philosophique). Les résultats de l’étude suggèrent que lors de ces moments de regroupement, la probabilité de prendre la parole ainsi que la durée de prise de parole ne sont pas les mêmes pour tous les élèves puisqu’elles varient en fonction de leur statut socio-économique. Ces différences de prise de parole liées au statut socio-économique émergent très certainement sans que les enseignants en aient en conscience et elles pourraient ainsi limiter le potentiel pouvoir de réduction des inégalités scolaires de l’école maternelle.
Une première étude a porté sur près de 100 enfants de grande section dans différentes écoles maternelles. Les classes sélectionnées étaient relativement mixtes en termes de statut socio-économique des élèves. Les chercheurs ont utilisé un laboratoire portable permettant de poser plusieurs caméras dans des classes et ils ont ainsi enregistré le comportement des élèves durant les moments de discussions collectives (de 8 à 19 moments de regroupements dans chaque classe). Ils ont ainsi pu coder la fréquence, la durée, et le type de contribution orale de chaque enfant (par exemple, est-ce que l’élève qui parle a été interrogé ou bien a-t-il pris la parole spontanément ? est-ce qu’il a coupé la parole ?).
Les résultats ont montré que les élèves de milieux populaires parlaient moins souvent et moins longtemps que les élèves de milieux plus favorisés. Plus précisément, ces derniers sont plus souvent interrogés, ils prennent davantage la parole sans qu’elle leur ait été donnée explicitement, et ils coupent aussi davantage la parole aux autres. Enfin, lorsqu’ils parlent, ils parlent plus longtemps. De façon importante, ces différences ne s’expliquent pas par des différences de compétences en langue orale, ce qui indique que les élèves de faible statut socio-économique ne parlent pas moins parce qu’ils n’auraient pas les compétences nécessaires pour le faire. Selon les auteurs, ces différences s’expliquent davantage par une proximité culturelle entre les pratiques de socialisation des familles de milieux favorisés et ce qui se joue dans la salle de classe. En effet, lors des discussions en classe entière, les élèves sont souvent encouragés à exprimer leurs opinions, intérêts, et partager leurs expériences personnelles – des comportements qui sont davantage socialisés dans les familles de classes moyennes et favorisées. De plus, ces élèves disposent d’un « capital culturel » (par exemple, connaissances des albums de littérature jeunesse, expériences de voyages, etc.) qui leur permettent plus aisément de contribuer aux discussions en classe entière par rapport à leurs camarades de classes populaires ayant des compétences linguistiques similaires.
Dans une seconde étude, les auteurs ont cherché à comprendre comment les enfants de grande section perçoivent ces différences de participation orale. Répondre à cette question est fondamental puisqu’elle peut avoir des conséquences importantes sur leur sentiment de compétence et in fine leurs apprentissages. En effet, pour les élèves en difficulté, expliquer les différences de réussite comme la conséquence de caractéristiques telle que l’intelligence peut réduire leur sentiment de compétence. Or, se percevoir incompétent dégrade la qualité de l’apprentissage en réduisant les ressources attentionnelles disponibles et le niveau d’engagement dans la tâche. Pour examiner cette question, les chercheurs ont interrogé d’autres élèves de grande section. Ils leur ont présenté des scénarios mettant en scène des élèves fictifs qui parlaient plus souvent et plus longtemps que les autres. Après chaque scénario, les enfants étaient invités à expliquer le comportement du protagoniste ; par exemple : « Pourquoi penses-tu que [Théodore/Zélie] parle plus longtemps que les autres enfants ? »
L’équipe de recherche a ensuite codé les réponses fournies par les enfants, en recherchant notamment s’ils mentionnaient des facteurs internes aux élèves, c’est-à-dire liées à leurs caractéristiques propres (par exemple, « parce qu’il/elle est intelligent(e) », « parce qu’il/elle a beaucoup de choses à dire ») ou des facteurs extrinsèques liés au milieu du protagoniste ou au contexte de la classe (par exemple, « parce que le professeur l’aime bien », « parce que les autres enfants sont désobéissants »). Les résultats montrent que les enfants de 5 ans perçoivent les élèves qui parlent le plus comme possédant davantage de caractéristiques internes positives (par exemple, « parce qu’il/elle est plus intelligent(e) ; « parce qu’il/elle est plus sage », etc.). Les différences de participation orale semblent donc interprétées par les élèves comme révélant des différences de qualités propres. S’il peut sembler évident que les enfants n’ont pas nécessairement conscience des facteurs sociaux qui déterminent ces différences, ces interprétations pourraient amplifier les inégalités pré-existantes à l’école. En effet, les élèves qui prennent le plus la parole pourraient ainsi développer une image positive d’eux-mêmes, contrairement aux élèves les plus éloignés de la culture scolaire.
En résumé, ces résultats indiquent que, d’une part, les moments de discussion collective à l’école maternelle ne permettent pas une égale participation des élèves, indépendamment des différences langagières entre élèves, et que, d’autre part, ces différences de participation sont perçues comme la conséquence de caractéristiques intrinsèques par les élèves. Cette manière de percevoir les différences de participation orale pourrait amplifier les inégalités initiales en réduisant le sentiment de compétence des élèves de milieux populaires. Ces résultats invitent à repenser l’organisation des moments de langage à l’école maternelle – un défi loin d’être évident à résoudre vu les contraintes qui pèsent sur les enseignant·e·s –, dans le but de favoriser l’engagement de tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale.
Référence de l’article
Goudeau, S. ; Sanrey, C. ; Autin, F. ; Stephens, N. M. ; Markus, H. R. ; Croizet, J. C. & Cimpian, A. (2023). Unequal Opportunities from the Start: Socioeconomic Disparities in Classroom Participation in Preschool. Journal of Experimental Psychology: General. https://doi.org/10.1037/xge0001437
* L’équipe de chercheurs :
- CeRCA, Centre de recherches sur la cognition et l’apprentissage (Université de Poitiers / CNRS) : Sébastien Goudeau, Frédérique Autin
- LPC, Laboratoire de Psychologie des Cognitions (Université de Strasbourg) : Camille Sanrey
- LAPSCO, Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive (Université Clermont Auvergne / CNRS) : Jean-Claude Croizet
- Northwestern University: Nicole Stephens
- Stanford University: Hazel Rose Markus
- New York University: Andrei Cimpian
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