Romeiros de São Miguel : tradition et innovation

Carmen Ponte Goujon

____________________________  

♦ Brève présentation du pèlerinage actuel
♦ L'instauration de règlements écrits
♦ Analyse contrastive des règlements : la méthode
♦ Le choix de la semaine du pèlerinage
♦ La nomination du Maître
♦ L'âge du pèlerin
♦ Les acessoires vestimentaires
♦ La préparation avant le départ
♦ La confession, la communion et la participation à la messe
♦ L'organisation du groupe de pèlerins

♦ Les responsables du groupe de pèlerins
♦ Les connaissances requises pour remplir la fonction du maître
♦ La transmission des fonctions

♦ La visite des chapelles et des églises de l'île

♦ Les salutations

♦ Les formules de salutation
♦ Le crucifix et sa symbolique
♦ Le "post-pèlerinage"
♦ Conclusion





Table des matières

























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La nomination du maitre








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Le pèlerinage appelé romeiros de l’île de São Miguel, aux Açores, constitue un phénomène ethnographique d’un grand intérêt du fait de son originalité et de sa persistance dans le temps. Alors que ce pèlerinage constitue encore aujourd’hui une des pratiques les plus caractéristiques de la religiosité populaire açorienne, ses origines et son évolution n’ont guère attiré l’attention des chercheurs. C’est la raison pour laquelle nous en avons fait le thème de notre thèse de doctorat(1).

Après une recherche minutieuse, difficile à cause de la rareté des documents et de leur mauvais état, nous avons pu recueillir des sources manuscrites et imprimées des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles et avons procédé à leur étude comparative. Grâce à celle-ci, nous avons été en mesure de reconstituer l’origine et l’histoire des romeiros de São Miguel.

Il apparaît ainsi que cette tradition religieuse est née au cours du XVIe siècle, lors de grandes catastrophes naturelles. Celles-ci, fréquentes dès le début du peuplement des Açores, ont nourri un sentiment de peur et de culpabilité, engendré la conscience du péché et fait naître un ensemble d’actes religieux qui sont autant de manifestations de pénitence et de prière. La conviction généralement partagée aujourd’hui est que le pèlerinage prend sa source dans les tremblements de terre dévastateurs de 1522 et 1563.

Pour la présente contribution, nous avons choisi de nous limiter à l’histoire récente des romeiros, sur la base des différents règlements écrits du pèlerinage. Ces règlements sont au nombre de quatre et s’échelonnent entre 1958 et 2003. Leur étude comparative nous a paru s’inscrire parfaitement dans la perspective des journées d’étude sur les « filiations textuelles ».

Cependant, soucieuse d’emmener le lecteur sur les traces des pèlerins et de lui faire découvrir cette composante de la culture açorienne, nous consacrerons le début de notre exposé à une présentation succincte des romeiros dans leur version actuelle.


Brève présentation du pèlerinage actuel

Dans l’histoire religieuse de l’archipel des Açores, la foi populaire a toujours constitué une caractéristique fondamentale de la vie du peuple açorien. Si la tradition se définit comme « ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et acceptée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, au fil des générations, la transmettent » (2), les fêtes religieuses populaires, les processions et les pèlerinages de l’île de São Miguel sont autant d’actes traditionnels qui rythment la vie de la population de l’île. L’île de São Miguel, la plus grande et la plus peuplée de l’archipel açorien, a su conserver jusqu’à nos jours la deuxième plus importante manifestation de religiosité populaire, celle des romeiros. Conjuguant modernité et tradition, la société açorienne en général et micaelense en particulier, ont su, par leur attachement à leurs traditions séculaires, développer un trait original dans une Europe si lointaine à bien des égards.

C’est pendant le Carême que les chemins de l’île sont parcourus par des groupes de 50, 60 et parfois même 100 hommes et enfants étrangement habillés. D’église en église, de chapelle en chapelle, effectuant le tour de l’île, celui de leur monde, ils cheminent en signe de pénitence. La gratitude envers Dieu pour un vœu exaucé, le souhait de voir pardonnés ses propres péchés et ceux de la communauté, la perspective du dépassement de soi, sont autant de raisons pour lesquelles les pèlerins s’engagent dans les romeiros.

Avant le départ, chaque groupe se prépare pour pouvoir affronter les difficultés des chemins à parcourir. Des réunions préalables définissent et structurent le rôle et la place de chacun. Les novices en profitent pour y apprendre les chants traditionnels. Le jour du départ arrivé, le pèlerin se munit de son baluchon qui lui servira à transporter des vêtements et sa nourriture pour la journée. Un châle sur les épaules le protège du froid, un foulard autour du cou couvrira sa tête pendant les jours de pluie et de vent, car les pèlerins doivent faire face à des intempéries souvent très dures. Les Açores, qui ont pourtant un climat doux et agréable, semblent parfois, pendant cette période, déchaîner tous les éléments naturels pour mettre la résistance des pèlerins à rude épreuve. Le bâton pour s’appuyer sur des chemins difficiles et un ou plusieurs chapelets font également partie des signes identitaires du pénitent.

Le point de rencontre est l’église principale du village ; une messe spéciale y est célébrée, à 5 heures du matin. Pendant l’office, chaque pèlerin reste auprès de sa famille. Le contremaître des pèlerins met fin à la célébration en entonnant le chant qui donne le signal du départ, moment très émouvant car il signifie l’adieu des pèlerins à leurs familles. Le pèlerin est à ce moment la personnalité la plus importante pour tous, tout le monde lui souhaite du courage et un bon voyage. « Que Dieu soit avec toi et qu’il te protège contre tout danger » est le souhait le plus fréquent.

En sortant de l’église, le chant de l’adieu prolonge le traditionnel Ave Maria des pèlerins. Sur un rythme lent et mélancolique, ce chant se répète durant toute la marche ; son caractère rigoureusement monodique, tout comme le poids attribué à certaines syllabes, donnent une originalité à cette prière et constituent une marque identitaire du pèlerinage. Le groupe part en empruntant la rue principale, suivi par les familles jusqu’à la sortie du village. Il est tôt encore, le jour se lève, le chant des pèlerins réveille la communauté, résonne dans l’aurore ; les femmes et les enfants apparaissent aux fenêtres et aux portes des maisons ; on regarde passer les pèlerins, le cœur lourd.

A la sortie du village, un oratoire dédié à Notre-Dame est la première halte de piété du groupe. Ce moment de prières et de chants est rigoureusement organisé. D’abord, une prière chantée, dédiée à Notre Dame ; puis des demandes de prières, par exemple pour ceux qui n’ont pas pu participer au pèlerinage, ou pour aider les pèlerins à accomplir leur pénitence. Après ces demandes, des chants traditionnels s’élèvent, dont « Seigneur Dieu miséricorde ». Un chant adressé à Notre-Dame, lui demandant la permission de partir, clôture l’arrêt et annonce l’Ave Maria, aux accents duquel le groupe se remet en marche.

Cette marche, élément essentiel du pèlerinage, s’organise autour d’un certain nombre de règles qui la définissent jusque dans les moindres détails. En tête des pèlerins, leurs deux guides les aident à affronter les difficultés du chemin. Le groupe obéit à une hiérarchie, mais en même temps, les pèlerins ont une façon particulière de se saluer mutuellement en s’appelant « frère ». C’est l’une des marques de la rigoureuse égalité qui est maintenue entre les participants : le rang social n’intervient en aucune manière dans leurs relations. Une autre marque d’égalité réside dans les accessoires vestimentaires qu’ils portent : aucun signe ne permet d’identifier le rang occupé par le romeiro dans le groupe.

Lors du pèlerinage, la marche du groupe est organisée selon un schéma linéaire. Le groupe se divise normalement en trois rangées : la rangée centrale est composée exclusivement des responsables, alors que les deux autres sont constituées par de simples pèlerins. Le rôle du maître est fondamental pour la conduite du groupe : il exerce l’autorité et prêche dans les églises les plus importantes de l’île. Le contremaître, pour sa part, a pour fonction de soutenir le maître dans la direction du groupe et de le remplacer pour les chants et les prières.

Le procurador das almas est un personnage essentiel du pèlerinage. Placé toujours en queue de groupe, il a pour fonction de recueillir les demandes de prières des habitants des villages traversés, dont il est le « procureur », autrement dit le porte-parole. Il est à noter que les contacts entre les pèlerins et les communautés placées sur leur trajet se réduisent au strict minimum et s’effectuent par l’intermédiaire exclusif de ce procurador das almas, pèlerin dont la mission est précisément la « communication ». En effet, seul le procurador das almas, le « chargé de communication », dirions-nous aujourd’hui, est habilité à avoir un contact verbal avec les personnes extérieures au groupe des pèlerins. La finalité de tels dialogues est unique : les habitants s’enquièrent auprès du procurador du nombre de pèlerins qui composent son groupe et lui demandent de prier pour la réalisation d’un vœu personnel ou collectif. L’échange, très court, s’établit selon un canevas immuable :

– Habitant : Frère, combien êtes-vous ?

Procurador : Frère, nous sommes soixante.

– Habitant : Frère, un Ave Maria et un Notre Père pour ma fille qui est atteinte d’une grave maladie.



Cette demande est ensuite transmise au lembrador das almas qui a pour fonction de rappeler à tous les pèlerins, à un moment précis et à haute voix, les prières commandées par la population. Chaque pèlerin récite alors un Ave Maria et un Notre Père pour que la demande soit entendue. Le demandeur, de son côté, récitera, après avoir déposé sa demande, autant d’Ave Maria et de Notre Père qu’il y a des pèlerins dans le groupe. Ce principe d’équivalence et de réciprocité est une tradition encore respectée aujourd’hui.

L’enfant appelé cruzado (« croisé ») parce qu’il porte la croix et les deux ajudantes (« auxiliaires ») qui ont pour fonction de suppléer aux besoins des pèlerins – aliments, eau, produits pharmaceutiques, appel à un médecin si nécessaire – sont également au nombre des participants qui assument une responsabilité particulière.

Au coucher du soleil, les pèlerins arrivent à la dernière étape de leur longue journée de marche. Ils se dirigent alors vers le parvis de l’église du village, toujours en chantant l’Ave Maria. À l’annonce de l’arrivée des pèlerins pour la nuit, les habitants s’approchent du maître et proposent d’accueillir un ou plusieurs pèlerins chez eux. C’est au maître qu’incombe la responsabilité d’indiquer à chaque participant la famille qui lui offrira le gîte. C’est alors que commence une nouvelle phase de la journée du pèlerin.

En effet, de l’accueil au souper, du coucher au réveil, le pèlerin est tenu à un certain nombre de règles, de traditions et d’actions symboliques. À la famille qui va le loger, le pèlerin récite une prière de salutation (3). Dans les familles les plus traditionalistes, le maître de la maison lave les pieds du pèlerin, mais beaucoup de maisons offrent maintenant la possibilité de se doucher. Le pèlerin dîne avec la famille, la remercie en lui laissant un chapelet et en disant : « Aqui têm os irmãos um terço já rezado, que amanhã retomaremos » (4), action symbolique qui sert de témoignage à la famille qui le reçoit. Aux alentours de quatre heures du matin, le pèlerin se réveille en faisant le moins de bruit possible et rejoint son groupe sur le parvis de l’église. Il salue ses « frères » et, une fois le groupe réuni, la longue marche se poursuit ; les chants, les prières résonnent alors dans les chemins et jusqu’au cœur de l’île de São Miguel.


L’instauration de règlements écrits

Le pèlerinage, traditionnellement considéré comme un mouvement autonome, plus proche de la foi populaire que des instances ecclésiastiques, voit surgir en 1962 un règlement écrit (regulamento), publié par le Diocèse des Açores. Ce document qui dicte les règles et les conditions à remplir pour être pèlerin s’actualise au fil des ans. Une deuxième version est publiée en 1989, puis une troisième en 2003, qui est la version actuellement en vigueur. À noter que cette dernière est d’une dimension très supérieure aux deux précédentes – elle se présente comme un petit livre d’une cinquantaine de pages – et que, par sa forme, son contenu et son langage spécialisé, elle se rapproche beaucoup plus d’un texte juridique.

Avec l’institution et l’actualisation de ces documents, un groupe coordinateur du pèlerinage est officiellement créé, avec pour mission d’orienter, de coordonner le pèlerinage et de mettre à jour périodiquement son règlement. En définitive, la tradition, qui a vécu jusqu’au milieu du XXe siècle dans le monde rural, un monde de l’oralité, dont le savoir et le savoir-faire ainsi que leur transmission, réception, répétition et conservation se passaient pratiquement de toute intervention de l’écrit, se rapproche actuellement d’un mouvement pastoral. De moins en moins régi par les pèlerins, représentants du monde rural, le pèlerinage passe sous la coupe d’un groupe coordinateur, beaucoup plus proche du monde urbain.

Il n’est pas sans intérêt de connaître les circonstances dans lesquelles le premier règlement écrit a vu le jour. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’initiative n’en revient pas à l’évêque des Açores mais à un groupe de pèlerins – ceux du village d’Arrifes – avec l’aide de quelques prêtres. Dès 1956, ils firent valoir l’avantage que le pèlerinage retirerait d’un document normatif, dissocié de la pratique coutumière.

Un rôle moteur au sein du groupe a été joué par un pèlerin du nom de Laurénio Fernandes qui exerçait la fonction de procurador das almas. Catholique exemplaire, très proche du clergé, il était de surcroît sacristain à l’église du Senhor Santo Cristo de Ponta Delgada. Il s’est particulièrement investi dans la conception d’un projet de règlement et dans les démarches ultérieures visant à le faire approuver par le Diocèse. Le projet portait le titre de Regra. Il fut remis le 30 janvier 1958 à l’évêque des Açores, dom Manuel Afonso de Carvalho.

En définitive, si nous considérons les trois regulamentos successifs et le projet de regra qui en a constitué les prémisses, nous disposons de quatre documents susceptibles d’être étudiés dans une perspective comparatiste. Ils nous informent essentiellement sur les conditions à remplir pour être romeiro, ainsi que sur les objectifs du groupe coordinateur et du mouvement pastoral, et c’est naturellement dans cette optique que nous les analyserons. Notons tout de même qu’on y trouve une brève évocation des origines du pèlerinage : « Cette pratique s’appelle aussi "Visite des chapelles de Notre-Dame" et puise son origine dans les calamités causées par les tremblements de terre et les éruptions volcaniques du 22 octobre 1522 et du 25 juin 1563, qui ont détruit Vila Franca do Campo et ont provoqué des préjudices graves à Ribeira Grande. » (5)


Analyse contrastive des règlements : la méthode

Le passage d’une règle « coutumière », orale, « mouvante », à un document écrit et officiel amène, inévitablement, des changements dans la production, la transmission, la réception, la reproduction et la conservation des règles transmises oralement pendant des siècles au sein de la communauté. 
 
Nous proposons une analyse contrastive qui comprendra d’un côté l’ensemble des témoignages oraux, de l’autre les quatre versions écrites du règlement, afin de mieux connaître les processus d’écriture et de réécriture auxquels a été soumise la tradition orale du pèlerinage et leurs résultats.

Un tableau comparatif mettra en parallèle, à chaque fois, les fragments homologues des quatre textes en question, après quoi nous essaierons de les analyser et d’interpréter les changements.

Au cours de cette réflexion, ne manqueront pas de se poser les questions de l’entité qui a créé les règlements et des raisons de cette création. Nous tenterons de répondre à ces questions en décrivant les différentes étapes du processus au travers duquel la réglementation a progressivement été mise en place.

Le choix de la semaine du pèlerinage


1958

1962

1989

2003

I
O homem que pretende ser Romeiro […] que se dispõem a visitar, no tempo da Quaresma, […]

Art° 1 -Denominam-se Romeiros da Ilha de S. Miguel […] que durante a quaresma se pro­põem visitar […]

Art° 1 - Denominam-se Romeiros da Ilha de S. Miguel os grupos de católicos, que durante uma das semanas da quaresma se pro­põem visitar […]

Art° 1 - Denominam-se Romeiros de São Miguel […] se propõem visitar, durante o tempo da Quaresma,…
§1° - Cada Rancho deverá sair numa das semanas da Quaresma, previamente escolhida em conjugação com o Grupo Coordenador, devendo os primeiros sair no fim­de-semana seguinte à Quarta-Feira até Cinzas, e os últimos deverão entrar nas suas localidades no início do Tríduo Pascal, isto é, na Quinta-feira Santa.


Traditionnellement, chaque groupe réalisait son pèlerinage durant l’une des semaines du Carême. Le choix des dates était de la responsabilité du maître et de la communauté. Le règlement de 2003 fixe des limites nouvelles : le départ des premiers groupes ne doit avoir lieu qu’à partir de la fin de la semaine suivant le mercredi des Cendres ; et l’arrivée, pour les derniers groupes, ne doit pas être postérieure au jeudi saint.

Justifiant l’introduction de cette nouvelle règle, l’un de nos informateurs, Carlos de Sousa Melo soutient que la semaine sainte ne fait pas partie de la période de pénitence (le Carême), d’où l’obligation de terminer le pèlerinage pour le jeudi saint au plus tard :


uma das coisas que se introduziu de novo e que o senhor bispo concordou foi que as romarias devem acabar na máxima na quinta-feira santa. Porquê ? Porque a semana santa já não é a quaresma. As romarias têm uma função, uma necessidade especial de penitência e de oração e o tempo quaresmal é que é o tempo da penitência. […] e então se já não é quaresma, já não faz sentido a gente estar em penitência e […] portanto não faz sentido principalmente a partir da quinta-feira santa estar pela rua, porque já não é quaresma […] já não se está no tal período próprio, profundo da quaresma.  (6)



Carlos Melo explique également que ce changement a soulevé une certaine résistance de la part de divers groupes de pèlerins, notamment ceux qui effectuaient leur pèlerinage durant la dernière semaine du Carême, leur jour d’arrivée étant le samedi saint. Pour ces groupes, modifier leur semaine de pèlerinage équivalait à changer leur tradition. L’intervention de l’évêque et celle du Groupe coordinateur ont fini par obtenir la mise en place de cette norme. Dès lors, tous les groupes de pèlerins obéissent à cette règle. 


Havia cinco, seis ranchos que saíam na semana santa até ao sábado de Aleluia e foi muito difícil, alguns deles com tradições arreigadas de que sempre saíram naquela semana […] e então prontos o bispo determinou [...] e o senhor bispo sim senhor o grupo coordenador é que tem os poderes, consta do próprio regulamento que eu aprovei e portanto deve-se decidir este ano, ainda prorrogar por mais um ano, está determinado no regulamento. Portanto isso para te dizer que tem sido muito dificil a implementação global, principalmente aquilo que é considerado uma grande alteração, uma alteração ao estatuto escrito ou apenas por tradição, na tradição nesse caso concreto eles iam até ao sábado da aleluia […] enfim foi muito difícil mas acabaram por acatar que estariam em comunhão com o senhor Bispo e em comunhão com o regulamento e em comunhão com o grupo coordenador, de tal modo que aceitaram mudar de semana […]



Une première constatation importante s’impose : le maître et les habitants du village qui, traditionnellement, étaient autonomes et à qui revenait la décision en matière de date de départ et d’arrivée, sont désormais soumis, depuis 2003, à une instance extérieure au village qui leur impose ces dates. Un élément fondateur de l’autorité du maître et de l’autonomie de la communauté a donc disparu.


La nomination du Maître


1958

1962

1989

2003

IV
Do Mestre
O Mestre de um Rancho de Romeiros nunca é aquele que o quer ser, mas sim aquele que para tal fim for escolhido por grande parte da população de uma freguesia.

Art° 6 - O Mestre dos Romeiros será escolhido pela maior parte da população de uma freguesia […]
§1 - Logo que seja escolhido, deverá apresentar-se ao Rev.mo Pároco para receber a sua confirmação e benção.

Art° 6 - O Mestre dos Romeiros será escolhido pelo Pároco ou pela maior parte da população da respectiva freguesia.
§ 2- Desde que escolhido pela população, deverá apresentar-se ao Pároco para dele receber a aprovação e benção.

Art° 6
O Mestre e o Contramestre são nomeados pelo Pároco da localidade, ouvido o Conselho Pastoral. Podem também ser propostos por um grupo de paroquianos, que sejam ou tenham sido romeiros, dispensando-se, neste caso, a audição do Conselho Pastoral. Na nomeação do Contramestre, deverá ser ouvido o Mestre.
§ Únº- Excepcionalmente, a nomeação do Mestre poderá recair em cristão de fora da localidade, mas suficientemente conhecido pelo respectivo Pároco. Quando assim acontecer, o Contramestre deverá ser forçosamente um residente.



La coutume prescrit que le maître du groupe soit choisi par la population du village. Tel est encore le cas dans la Regra. Le règlement de 1962 amorce le changement en ajoutant que la nomination du maître doit être confirmée par le prêtre du village qui, symboliquement, donne sa bénédiction à l’élu. Le règlement de 1989 offre deux possibilités : le maître sera choisi par le curé ou par la population. Dans le second cas, il doit, par la suite, se présenter auprès du curé pour l’approbation et la bénédiction de sa fonction. Ces dispositons sont inscrites dans un document spécifique intitulé Alvará Eclesiástico de Nomeação do cargo de « Mestre de Romeiros » (7). Le règlement de 2003 met fin à toute possibilité de choix : le maître est nommé par le curé.

En résumé, il y a eu, d’un règlement à l’autre, un lent et progressif déplacement de l’autorité. Initialement, c’était à la communauté de choisir le maître ; dans le deuxième texte, c’est à la communauté avec la confirmation du prêtre ; le troisième texte est ambigu : la décision revient au prêtre ou à la majorité de la population ; dans le quatrième texte, enfin, le choix relève du prêtre et du Conseil Pastoral. Par rapport à la tradition orale, force est de constater que l’autonomie de la communauté et l’autorité du maître ont été sensiblement réduites du fait de l’intervention d’instances extérieures, ecclésiastiques ou laïques.


L’âge du pèlerin

1958

1962

1989

2003

II
1.°) […] idade não superior a cinquenta e cinco anos e nunca inferior a dez.

Art.º3
1) O homem com idade não inferior a dez anos nem superior a cinquenta, […].

Art.º3
2) O homem […], e com saúde para suportar de bom ânimo os rigores de penitência;

Art.º 14º
2. Homens […], bem como com saúde suficiente para poderem fazer a caminhada.

 

L’âge du pèlerin n’a jamais été, au cours des siècles, un facteur déterminant pour la participation au pèlerinage. Aussi bien des personnes âgées que des jeunes gens et des enfants y participaient. Ce n’est que dans les deux premiers textes que des limites d’âge sont imposées, excluant les enfants d’âge inférieur à dix ans et les hommes d’âge supérieur à cinquante / cinquante-cinq ans. Cette mesure a disparu dans les deux derniers règlements. Le cas du maître Adriano Couto de Medeiros, âgé de soixante-treize ans, montre que cette règle n’avait guère de sens.


Les accessoires vestimentaires


1958

1962

1989

2003

III
O uniforme do Romeiro consiste no seguinte : um bordão de conto […]; um lenço de lã ; um rosário ou terço ; […] uma saca de chita, para levar o alimento.

Art.º 12
7) Levar um lenço de lã para a cabeça, um chaile para agasalho, uma saca para a comida, um terço do rosário e um bordão, como é tradicional.

Art.º 13
9- Levar um lenço de lã e um chaile para agasalho, uma saca para a comida, um terço do Rosário e um bordão, como é tradicional: O chaile deverá ser levado aberto pelos ombros e o lenço sobreposto por cima do chaile;

Art.º 20º
8.Levar Terço, lenço de lã, xaile, saca para a comida e um bordão, tudo como é tradi-cional; durante todo o percurso, o xaile deve ser levado aberto sobre os ombros e o lenço sobreposto por cima dele.



Traditionnellement, les pèlerins se caractérisaient par des signes vestimentaires clairement identifiables mais disposaient d’une assez large liberté dans la façon de les porter. Des groupes portaient le foulard sur la tête, surtout pendant les jours de pluie, d’autres autour du cou. Il y avait ceux qui portaient le châle sur les épaules, alors que d’autres le portaient sur le côté gauche en bandoulière. Indifférents à cette hétérogénéité, la Regra et le règlement de 1962 se contentent d’énumérer les attributs vestimentaires des pèlerins. Les deux derniers règlements, par contre, uniformisent le port du châle et du foulard. À noter que ceux-ci, dans les circonstances habituelles, sont des vêtements exclusivements féminins.

Durant tout le parcours, le châle doit maintenant être porté sur les épaules et le foulard autour du cou, comme en témoigne la photographie ci-dessus, prise par nous. Aujourd’hui encore, cependant, des pèlerins portent le foulard sur la tête. Dans les lieux déserts et pendant les jours de grande chaleur, le châle est plié et porté sur l’épaule.

Deux constats s’imposent : en premier lieu, la façon de porter le châle et le foulard, qui dépendait traditionnellement de la décision du maître et des pèlerins, est soumise désormais à une prescription extérieure ; en second lieu, l’aspect qui était de nature à assimiler les pèlerins à des femmes, le foulard porté sur la tête, se trouve implicitement banni par les deux derniers règlements, et sans justification.


La préparation avant le départ


1958

1962

1989

2003

I

a)Quinze, ou pelo menos dez dias antes da partida do Rancho, deve dirigir-se ao Mestre, e, na falta deste, ao Procurador das Almas, a pedir a sua admissão e inscrição ;

Art.º 14 - Seria para louvar que os Rev.mos Párocos, an­tes da saída da romaria, convocassem na igreja paroquial to­dos os romeiros, pelo menos em dois dias, a fim de os prepararem convenientemente dentro do espírito da romaria, que é de oração e penitência.

Art.º 13 - Todos os romeiros devem:

1- Participar pelo menos em vinte horas de preparação, em dias e horas préviamente anunciados;

Art.º 15 - Seria de louvar que todos os Párocos, an­tes da saída da romaria, convocassem e apoiassem as reuniões, a fim de preparar convenientemen-te os romeiros no espírito de oração e penitência.

Artº 17º


A preparação próxima dos romeiros deverá ter uma componente prática e outra doutrinal. Esta preparação em conjunto, não poderá ser inferior a 20 h., sob pena de não participação na Romaria. Excepcionalmente, poderá ser dispensado o romeiro já experiente na parte prática.

Artº 19º
3- A componente prática fica a cargo dos responsáveis pelos Ranchos, podendo, numa experiência de comunhão, ser convidados os membros do Grupo Coordenador ou os responsáveis de outros Ranchos.
4- A componente doutrinal deverá ficar a cargo do Pároco, ou dos responsáveis pelo Rancho, ou, se for julgado conveniente e depois de ouvido o Pároco, poderão ser convidadas outras pessoas: Sacerdotes, Religiosos ou Leigos.

 

Lorsque le pèlerinage ne relevait d’aucune règle écrite, il n’y avait pas de préparation avant le départ, si ce n’est l’obligation de se présenter auprès du maître pour demander son admission. Dans la Regra, cet aspect est encore présent. Le règlement de 1962 recommande aux prêtres la préparation des pèlerins pendant une période de deux jours. Le règlement de 1989 exige plus encore, à savoir un minimum de vingt heures de réunions de préparation avant le départ, avec l’aide du prêtre de la paroisse. Cette règle s’impose également dans le dernier règlement qui brandit en outre la menace d’une exclusion pour qui ne s’y conformerait pas et précise que la préparation se divise en deux composantes : la composante pratique qui concerne tous les aspects inhérents au pèlerinage, tels que le chant de l’Ave Maria et d’autres prières traditionnelles, la prise de connaissance du règlement, les habits et le comportement des pèlerins ; et la composante doctrinale qui porte sur la lecture de la Bible, la méditation et la réflexion sur des thèmes liés aux valeurs évangéliques et en rapport avec le pèlerinage (8). La composante pratique est à la charge des responsables du groupe, mais le Groupe coordinateur y joue un rôle. La composante doctrinale est de la responsabilité du prêtre et, en second lieu, des responsables du groupe de pèlerins.

En définitive, nous constatons un changement de ton : de la « recommandation », en 1962, nous passons, en 1989, au « devoir » et de celui-ci, nous passons, en 2003, à la menace d’« exclusion », autrement dit à la punition. On note par ailleurs divers changements :

  • l’introduction de la préparation du pèlerinage en 1962 ;

  • l’augmentation progressive du nombre d’heures de préparation ;

  • la spécification de plus en plus doctrinale.

Dans ce même processus, l’autorité du maître a été affaiblie. Jadis, il admettait, autorisait, excluait ; depuis 2003, le curé peut exclure.


La confession, la communion et la participation à la messe


1958

1962

1989

2003

IX
O Mestre deve procurar conduzir o rancho de tal maneira que os romeiros comunguem todos os dias […] e, se fôr possível, assistam à Missa …
XI
É sabido que cada Romeiro, antes de iniciar a peregrinação, confessa-se e comunga, na sua freguesia, no dia da partida.
XXXV
O Romeiro, ao chegar à sua freguesia, […]. Só depois da oração final, na sua igreja, com oferecimento pelo Mestre, do último beija-mão [...].

Art.º 12 – Todos os romeiros devem:
1) Confessar-se e comungar no dia da partida e conser­var o estado de graça para que possam comungar, sendo possível, todos os dias.
2) Assistir à Santa Missa todos os dias […]

Art.º 31 – Ao chegar o rancho dos romeiros à sua fre­guesia própria, [...] di­rigindo-se para a igreja paroquial, onde a Mestre faz a últi­ma prece de acção de graças; segue-se, fora do templo, o último beija-mão [...].

Art.º 13 – Todos os romeiros devem:
2- Confessar-se na véspera da partida e procurar conser­var o estado de graça durante a romaria para que possa comungar todos os dias.
3- Participar da Santa Missa, se possível todos os dias ;

Art.º 31 – Ao chegar o rancho dos romeiros à sua fre­guesia, [...] e, di­rigindo-se para a igreja paroquial, haverá  a últi­ma prece de acção de graças com a celebração da Santa Missa;

Art.º 20º
Todos os Romeiros devem:
1. Participar no Sacramento da Reconciliação nas vésperas da partida, procurando manter-se em estado de graça para que a Romaria seja espiritualmente proveitosa.
2. Participar na Eucaristia todos os dias

Artº 37º
Ao chegar o Rancho à sua freguesia, […] a penitência termina só depois da Eucaristia, a qual devera ser previamente preparada com o Pároco respectivo, para que seja autêntica festa de comunhão.
Art.º 36º
Como é tradição, durante a Romaria há o chamado "Encontro da Família". 
O ponto alto do encontro será a participação na Eucaristia juntamente com os Romeiros.



La participation quotidienne à la messe, pendant le pèlerinage, n’était pas, autrefois, une obligation principale du groupe, mais plutôt un acte souhaitable. La confession, la veille, puis la présence à la messe les jours du départ et de l’arrivée, ainsi que la communion quotidienne, n’étaient le fait que de certains groupes de pèlerins, puisque souvent les prêtres n’étaient même pas au courant du départ de ceux-ci.

Dès le premier texte (Regra), la confession avant le départ et la communion quotidienne sont devenues obligatoires. L’assistance à la messe pendant la semaine et la récitation du chapelet sont également conseillées.

Les deux derniers règlements exigent également la présence à la messe à l’arrivée des pèlerins dans leur village, obligation inexistante dans les deux premiers textes. Le dernier règlement introduit, en outre, la célébration de la messe lors de la rencontre avec les familles.

En définitive, on constate une augmentation progressive du nombre de messes obligatoires et, par conséquent, un impact de plus en plus important de la religion officielle, de la messe et donc du prêtre. Avant que ne s’imposent les règlements écrits, il y avait une messe au départ, si le prêtre était au courant du pèlerinage. La Regra et le règlement de 1962 introduisent la messe quotidienne. Le texte de 1989 exige la messe quotidienne et la messe à l’arrivée des pèlerins, et celui de 2003 ajoute la célébration de la messe le jour de la rencontre des familles. Ainsi, au cours des années, la parole du maître, omniprésente lorsque la tradition se perpétuait oralement et autorité exclusive sur toutes les questions relevant de la foi, tend à s’effacer devant celle du curé, officielle et revêtue du pouvoir de l’Institution.


L’organisation du groupe de pèlerins


1958

1962

1989

2003

IV
Do Mestre
Deve conhecer todas as pessoas da sua freguesia, para poder admitir ou excluir.

Art° 6 –
§ 2 – Nunca se poderá organizar um grupo de romeiros sem a aprovação do respectivo Pároco.

Art° 5 –
Nunca se poderão organizar ranchos de romeiros sem a aprovação do respectivo Pároco.

Art° 3
A criação e organização de qualquer Rancho de Romeiros na Ilha de São Miguel, depende da aprovação do Pároco da localidade, ouvidos o Conselho Pastoral e o Grupo Coordenador dos Romeiros de São Miguel.
§Un° – Igual procedimento deverá ser tomado aquando do reinicio do Rancho, nas localidades onde a última saída tenha ocorrido há cinco ou mais anos.


Traditionnellement, l’organisation d’un groupe de pèlerins dépendait exclusivement du maître. C’est lui qui autorisait les pèlerins à participer, qui choisissait les responsables de son groupe et organisait son propre pèlerinage. Si la Regra maintient cette coutume, l’approbation du prêtre est imposée dès 1962 et réitérée en 1989. En 2003, pas moins de trois instances sont appelées à délivrer leur autorisation : le prêtre, le Groupe coordinateur et le Conseil Pastoral.

De nouveau, il faut constater qu’il y a eu un déplacement progressif de l’autorité : initialement, c’était le maître, autonome, qui organisait son groupe. La Regra confirme cette pratique. Les textes de 1962 et 1989 imposent l’approbation du prêtre ; le quatrième texte impose non seulement l’approbation du prêtre mais encore celles du Groupe coordinateur et du Conseil Pastoral. Force est de constater que l’autorité du maître a été  remplacée par celle d’autres instances.


Les responsables du groupe de pèlerins


1958


1962

1989

2003

IV

Do Mestre

V

Do Procurador das Almas

VI

Dos Guias

 Art° 5 - Todos os grupos ou ranchos dos Romeiros te­rão um Mestre, um ou dois Ajudantes, um Procurador das Almas, um Lembrador das Almas e dois Guias

Art° 5 -
§ único.-Todos os ranchos de romeiros te­rão um Mestre, um Contra-Mestre, um ou dois Ajudantes, um Procurador das Almas, um Lembrador das Almas e dois Guias.

Art° 5 - Cada Rancho de Romeiros terá: Mestre, Contramestre, Procurador de Almas, Lembrador de Almas, dois Guias e dois ou mais Ajudantes.

§Ún° - O Mestre e o Contramestre são considerados os Responsáveis pelo Rancho e os demais são Colaboradores.


Traditionnellement, le groupe des pèlerins comportait trois figures aux fonctions spéciales et bien définies : le maître, le procurador das almas et les guides. La Regra mentionne explicitement ces trois responsables. Le règlement de 1962 ajoute à ces trois figures, deux autres – en fait deux ou trois personnes –, à savoir : le lembrador das almas et un ou deux ajudantes. La version actualisée de 1989 inclut encore une nouvelle figure : le contramestre. Dans la tradition orale, la Regra et le règlement de 1962, le lembrador das almas, placé au milieu du groupe, est celui qui, à un moment précis du chant de l’Ave Maria (entre « le Seigneur est avec vous » et « Vous êtes bénie ») élève la voix et énumère les demandes de prières des villageois. Le règlement de 1989 ajoute un autre détail à ce rôle de co-dirigeant : au moment de prendre la parole, il doit réciter une formule de salut – « Seja Bendita e Louvada a Sagrada Paixão, Morte e Ressurreição de Nosso Senhor Jesus Cristo » (9) – à laquelle les pèlerins répondent : « Seja para Sempre Louvado Com Sua e Nossa Mãe Maria Santíssima » (10). Ensuite, le lembrador das almas doit demander à tous de dire un Ave Maria pour des intentions particulières, qu’elles soient recommandées ou non. Le règlement de 2003 revient sur le rôle du lembrador, en ajoutant qu’il doit accomplir sa tâche lors du passage dans les cimetières. À cette occasion, il demandera donc aux pèlerins de prier pour les âmes des défunts. D’après les témoignages oraux, cet aspect existait déjà, et ce bien avant l’instauration du règlement de 2003.

Les ajudantes sont les pèlerins-assistants du maître. Dans le règlement de 1962, les ajudantes remplacent le maître en cas d’absence. Ce sont eux aussi qui, sur décision du maître, disent les prières dans les églises et les chapelles. Dans le règlement de 1989, le rôle de suppléant du maître est retiré aux ajudantes qui, en échange, se voient attribuer deux nouvelles fonctions : ils doivent assister le maître face à des situations imprévues et organiser les repas quotidiens. Quant à la fonction de substitut du maître durant l’absence de celui-ci, elle est désormais confiée au contramestre (11).

Une constatation importante s’impose : au sein du groupe, le nombre de responsables tend à s’accroître inexorablement. Au départ ils n’étaient que quatre ; en 1962, ils sont six ou sept ; en 1989, ils sont, en moyenne, sept ou huit ; le texte de 2003 en mentionne au moins huit. L’autorité traditionnelle du maître devient, de plus en plus, une autorité partagée et éparpillée.

Nous constatons également que le chant de l’Ave Maria – qui était depuis toujours le chant unique – est interrompu par une formule de salut adressée d’abord au Christ, la Vierge n’occupant que la deuxième place.


Les connaissances requises pour remplir la fonction de maître


1958

1962


1989

2003

IV
Do Mestre
Deve saber exemplos religiosos e passagens da Sagrada Escritura, para, quando o achar necessário, os expor e explicar ao Rancho.

Art° 6 - O Mestre dos Romeiros […]  deverá ser um […]  conhecedor das Verdades da fé.

Art° 7- Compete ao Mestre:
4-Fazer diàriamente, sempre que possível, uma leitura e meditação biblica, préviamente escolhida e preparada ;

Artº 8º
(Das Atribuições do Mestre)
I. Compete ao Mestre:
f) -Fazer diariamente, sempre que possível pela manhã uma leitura bíblica e meditação escolhida e preparada antecipadamente, se possível com o Pároco.



Le maître, porte-parole du groupe, devait connaître des histoires édifiantes et des passages de la Bible, transmis oralement par ses aïeux ou appris lors des sermons professés par les prêtres durant la messe. C’était ce savoir oral que le maître transmettait oralement, en mémorisant et improvisant, à ses pèlerins.

La lecture quotidienne d’un passage de la Bible, prélude à la méditation, n’est exigée qu’à partir du règlement de 1989. La conséquence en est que les maîtres analphabètes ne pourront plus diriger leur groupe. À la parole orale, séculaire, du maître, porte-parole de la communauté, se substitue la parole écrite, intangible, de la doctrine officielle. Le dernier règlement indique, en outre, le moment de la lecture – le matin – et recommande l’assistance du prêtre dans le choix et la préparation des textes.

De ce qui précède, il se dégage que la transmission orale des rudiments du christianisme, empreinte de religiosité populaire, fait place peu à peu à l’utilisation de supports écrits, donnant lieu à une lecture publique. À noter qu’à partir de 2003, cette lecture, effectuée par le maître, doit être préparée avec le prêtre. Nous constatons une fois de plus que le maître perd progressivement l’autorité du savoir traditionnel, donc oral, ainsi que son autonomie dans la transmission de ce savoir aux pèlerins.


La transmission des fonctions



1958

1962

1989

2003

 

 

 

Artº 7º
(Da Duração do Mandato dos Responsáveis)
O mandato do Mestre e do Contramestre, durará cinco anos, renováveis para um segundo e terceiro mandato. Só  excepcionalmente, é que haverá mais de três mandatos, se a maioria dos membros do Rancho estiverem de acordo.


Traditionnellement, la fonction de maître se transmettait de génération en génération, de père en fils comme une sorte d’héritage. Le maître Adriano Couto est le cas exemplaire de ce mode de transmission héréditaire. C’est à celui-ci que le règlement de 2003 entend mettre fin en établissant que les fonctions de maître et de contremaître auront une durée limitée. Leur mandat durera cinq ans et sera susceptible d’être renouvelé deux fois. À titre exceptionnel, et si la majorité des membres du groupe l’admet, un mandat pourra être renouvelé une fois de plus.

A l’appui de cette nouvelle règle, Carlos de Sousa Melo, actuel président du Groupe coordinateur, fait valoir que la fonction de maître ne peut plus être considérée comme un héritage transmissible de père en fils ; elle doit être renouvelable, les maîtres en titre étant régulièrement appelés à céder la place à de nouveaux candidats :


Quando nós propusemos a revisão do último estatuto [...] com meta máxima de 5 anos procuramos primeiro renovar todos os mestres dos romeiros ; segundo, que eles procurassem ver que aquele cargo não era um cargo vitalício, ou seja, que não era um cargo como outrora se dizia : o meu pai foi mestre e eu agora sou mestre, isso é então como se fosse um bem que se transmite, como se fosse uma herança. […] não tens que eternizar este cargo, porque isto não é vitalício […] é renovável,  embora sendo renovável, de acordo com o nosso regulamento, vamos dar-lhe por um período. Primeiro para a pessoa pensar que aquilo não é para sempre, para pensar que não é vitalício e que nao é transmissível para os seus filhos e netos. […] de acordo com o regulamento e já alargamos esse âmbito, o bispo acolheu a nomeação para o período de 5 anos renovável por um ou dois no máximo desses 5 anos, e se de todo em todo, ainda há essa abertura, na localidade não aparecer [outro mestre] ou os romeiros no seu todo mantêm confiança naquele [mestre] o pároco deve reconduzi-lo para um novo mandato de 5 anos […]  (12)



En définitive, au terme de ce processus, l’autorité traditionnelle des civilisations de l’oralité, fondée sur une transmission et une accréditation au sein même de la communauté, d’une génération à l’autre, est remplacée par une nouvelle autorité, fondée sur une accréditation par les institutions ecclésiastiques, représentantes de la religion officielle. 


La visite des chapelles et des églises de l’île

1958

1962

1989

2003

I
O homem que pretende ser Romeiro, isto é, fazer parte integral de um determinado número de homens que se dispõem a visitar, no tempo da Quaresma, todas as igrejas e ermidas da Ilha de São Miguel …

Art.º 12 – Todos os romeiros devem:
6) Visitar todas as igrejas ou ermidas na ilha de S. Mi­guel, onde se venera a Santíssima Virgem, como sempre se fez desde o Séc. XVI nestas piedosas romarias quaresmais.

Art.º 13 – Todos os romeiros devem:
6- Visitar, quanto possível,  todas as igrejas e ermidas da Ilha, onde se venera a Santíssima Virgem, como sempre se fez desde o início destas piedosas romarias quaresmais.

Art.º 20º
Todos os Romeiros devem:
5.Visitar, quanto possível, todas as Igrejas e Ermidas da Ilha, que constam do itinerário previamente traçado pelos responsáveis do rancho.

 

D’après nos témoins oraux, avant que n’apparaissent les règlements écrits, les pèlerins visitaient uniquement les chapelles et les églises dédiées à Notre-Dame. La Regra prescrit la visite de toutes les églises et chapelles de l’île. Les règlements de 1962 et de 1989 introduisent une restriction en précisant que ces visites concernent spécifiquement les églises et chapelles où l’on vénère l’image de la Vierge. Il sont en outre les seuls à qualifier les pèlerinages de « pieux », indice, sans doute, qu’il y a lieu de privilégier, sur l’itinéraire à parcourir, les lieux expressément considérés comme sacrés.

Il n’est pas sans intérêt de noter que les quatre textes affichent une tendance croissante au réalisme. Ainsi, le règlement de 1989 prescrit que « tous les pèlerins doivent visiter […] toutes les églises et chapelles de l’île où l’on vénère la Sainte Vierge », mais seulement « dans la mesure du possible ». Cette précision, qui ne figurait pas dans le texte de 1962, est conservée dans celui de 2003, non dénué d’une certaine ambiguïté puisqu’il limite les visites aux seules églises et chapelles situées sur l’itinéraire et, dans le même temps, lève toute restriction quant au personnage vénéré. Le choix, ici, a consisté à s’en remettre au jugement des responsables de groupes de pèlerins. Cette liberté est certes contradictoire avec la tendance à un contrôle accru des autorités ecclésiastiques, observée à plusieurs reprises dans les rubriques précédentes. Mais cette contradiction s’efface si l’on considère que le point en discussion ici est très mineur, sans lien en tout cas avec le dogme chrétien.


Les salutations


1958

1962

1989

2003

XXVII
[...] Despedem-se do Mestre, beijando-lhe a mão.

XXIX
Conforme se vão juntando, vão beijando a mão ao Mestre [...]

XXX
[...] o Romeiro que se demorou dirige-se ao Mestre, beija-lhe a mão e explica a causa da demora [...]

 

XVIII
[...] eis aí o homem, de joelhos no meio das duas filas, beija as mãos de todos os irmãos, […] e, chegando junto ao Mestre, abraça-o, beija-lhe a mão e recebe deste ordem de se incorporar na fila que lhe compete.

Art.º 24-
Todos se despedem, beijando a mão do Mestre [...]

Art.º 25-
 [...] Á medida que os romeiros vão chegando […] e beijam-lhe a mão.

Art.º 26- [...] Nesta altura, o romeiro di­rige-se ao Mestre, beija-lhe a mão, justifica a falta e pede desculpa.

 

Art.º29 –
[...] Uma vez chegado,  coloca-se de joelhos no meio das duas filas, beija a mão de todos os irmãos e, chegando junto do Mestre, abra­ça-o, beija-lhe a mão e recebe ordens para se incorporar.

Art.º 24- Todos se despedem, beijando o Crucifixo e a mão do Mestre [...]

Art.º 25-
§ ùnico – […] A medida que vão chegando […]  beijando de seguida o Crucifixo e a mão do Mestre

Art.º 27- [...] Nesta altura, o romeiro di­rige-se ao Mestre, beija o Crucifixo e dirigindo-se ao Mestre beija-lhe a mão, justifica a falta e pede desculpa.

Art.º29 – [...] Uma vez chegado, coloca-se no meio das duas alas, beija o Crucifixo e a mão de todos os irmãos e, chegando junto do Mestre, abra­ça-o, beija-lhe a mão e recebe ordens para se incorporar.

Art° 31º  Todos se despedem do Mestre beijando também o crucifixo, como é tradicional.

Art.º 33º
À medida que vão chegando devem os Romeiros […] e, beijando o crucifixo, cumprimentam o Mestre e os irmãos.

Art.º 34º
§ Únº- [...] Nessa altura, o Romeiro faltoso deve beijar o crucifixo, e, dirigindo-se ao Mestre, cumprimentá-lo, justificando a falta e pedindo desculpa.

Art.º 20º
10. [...]A incorporação no Rancho faz-se como é tradicional, após autorização e com o rancho parado, beijando o crucifixo, cumprimentando o Mestre e todos os demais irmãos.


La Regra prescrit le rituel de la salutation consistant pour les pèlerins à baiser la main du maître, à trois moments différents de la journée : celui où le pèlerin quitte le groupe pour se rendre chez l’habitant du village qui l’héberge, celui où il rejoint le groupe le matin, et enfin celui de l’incorporation d’un pèlerin dans le groupe. Dans le règlement de 1962, ce rituel est toujours bien présent.

Dans le règlement de 1989, force est de constater que le baiser du crucifix prend la première place, rendant de ce fait secondaire le baiser au maître. Dans le dernier règlement, non seulement le crucifix continue à occuper la première place, mais l’évocation explicite du baiser de la main du maître est remplacée par le verbe cumprimentar, c’est-à-dire « saluer » ; ce verbe ne donne aucune indication sur le type de salut, qui n’est plus un baiser sur la main, mais peut-être une poignée de mains ou encore une accolade, d’autant plus qu’il est prescrit pour le maître et tous les compagnons.

À cet égard, nous avons constaté que le type de salut variait notablement d’un groupe à l’autre. Pour le groupe d’Agua de Pau, par exemple, le rituel consiste en un baiser sur le crucifix puis un autre sur la main du maître, ce dernier baisant à son tour la main du pèlerin. Pour le groupe de São Pedro, à Ponta Delgada, il consiste en un premier baiser sur le crucifix, suivi d’un autre sur la joue du maître (13).

En résumé, nous pouvons constater que, progressivement, le crucifix remplace la main du maître ; ce dernier est devenu « neutre », comme l’indique l’emploi du verbe cumprimentar, dans le texte de 2003.


Les formules de salutation

1958

1962

1989

2003

XXIX
Conforme se vão juntando, vão beijando a mão ao Mestre, dando o “bom dia” [...]

 

 

XXVIII
Quando o Romeiro entra na casa do bemfeitor que o recolhe do ar da noite, deve saudar os donos da casa e demais família presente, dando a “boa-noite!”.

Art.º 25 - [...] Á medida que os romeiros vão chegando, cumprimentam o Mestre dizendo: “Louvado seja Nosso Senhor Jesus Cristo” [...]

 

 

Art.º 25 - Na casa do benfeitor, o romeiro saúda os habitantes, dizendo: “Louvado seja Nosso Senhor Jesus Cristo”; ao qual respondem: «Para sempre seja louvado, com sua Mãe, Maria Santíssima”;

Art.º 25-
§ ùnico – [...] A medida que vão chegando cumprimentam o rancho dizendo : “Seja Louvado Nosso Senhor Jesus Cristo”; a que respondem:«Para Sempre Seja Louvado Com Sua E Nossa Mãe Maria Santíssima [...]

Art.º 25-Na casa do benfeitor, o romeiro deve :
a) Saudar os habitantes, dizendo: “Seja Louvado Nosso Senhor Jesus Cristo”; ao qual todos respondem: “Seja Para Sempre Louvado Com Sua E Nossa Mãe Maria Santíssima”;

Art.º 33º
À medida que vão chegando devem os Romeiros saudar os irmãos já presentes, dizendo: "Seja bendita e louvada a Sagrada paixão, Morte e Ressurreição de Nosso Senhor Jesus Cristo", ou a forma abreviada: "Seja louvado Nosso Senhor Jesus Cristo”, ao que os Presentes respondem. "Seja para sempre louvado com sua e nossa Mãe, Maria Santíssima" [...]

Artº 32°
Na casa que os acolhe, os Romeiros devem:
1. Saudar, à entrada os moradores, dizendo "Seja bendita e louvada a Sagrada Paixão, Morte e Ressurreição de Nosso Senhor Jesus Cristo", ou a forma abreviada: "Seja louvado Nosso Senhor Jesus Cristo,,, ao que os presentes poderão responder: "Seja para sempre louvado com sua e Nossa Mãe, Maria Santíssima”.



Alors que les pèlerins se saluaient traditionnellement par la formule courante bom dia, celle-ci a été remplacée, dès le règlement de 1962, par une formule religieuse liée à la période pascale. Dorénavant, les pèlerins se saluent en disant : Que Jésus Christ soit loué ou Que la Passion, la Mort et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ soient bénies et louées. Ce salut appelle la réponse suivante : Qu’il soit loué pour toujours avec sa Mère et la nôtre, Marie très sainte.

Cette salutation est également exigée, en vertu du règlement de 1962, lors de l’accueil du pèlerin chez l’habitant. Depuis cette date, elle est fréquemment récitée au cours du pèlerinage – notamment lors des pauses et des reprises de la marche –, à tel point qu’elle est devenue la formule emblématique du pèlerinage. Dans beaucoup de groupes, elle est appelée la « Salva » ; et dans le langage du romeiro, l’action de prononcer ces mots de salutation est désignée par les termes : « salvar o rancho ».

 En résumé, nous constatons une importance croissante des formules religieuses qui tendent à remplacer la formule profane de salut. En même temps, s’affiche une nouvelle hiérarchie : il faut saluer le Christ d’abord ; sa Mère, Marie, ensuite.


Le crucifix et sa symbolique



1958


1962

1989

2003

Apendice
Acontece assim, presentemente, que muitos Ranchos, em vez da Imagem do Salvador pregada no Instrumento do Suplício ser conduzida à sua frente, consideram o próprio Salvador como fazendo parte da Peregrinação, e assim os Procuradores, ao contarem os Romeiros, à saída dos Ranchos das freguesias, acrescentam Um ao número verificado. 

Art.º 32 - Todos os romeiros levarão uma imagem de Cristo crucificado, que será conduzida à frente, no meio das duas alas. Por isso, por um piedoso costume, Jesus Cristo e Sua Mãe Santíssima são considerados como romeiros e contados como tais para o efeito das orações pedidas pelos povos.

Art.º 32 - Todos os ranchos levarão uma imagem de Cristo Crucificado que será conduzida à frente, no meio das duas alas. Por isso, por um piedoso costume, Jesus Maria e José, SAGRADA FAMILIA, são considerados como romeiros e contados como tais para efeito das orações pedidas pelos povos.

Artº 22º
Todos os ranchos devem ser portadores de um crucifixo de média dimensão, o qual deverá ser levado à frente por um dos romeiros mais jovens, que seguirá no meio dos dois guias.
Artº 27º
À passagem pelas freguesias as pessoas costumam pedir orações ao rancho, perguntando o número de irmãos, para que elas possam rezar em comunhão com os peregrinos. Rezarão tantas orações quantos forem os irmãos, os que se deverá acrescentar como é tradição as pessoas de Jesus, Maria e José, que são considerados romeiros.

 

Notre informateur Adriano Couto de Medeiros nous a confirmé que l’usage du crucifix n’était pas courant, autrefois, dans les groupes de pèlerins. La seule croix présente était celle qui accompagnait le chapelet. L’existence d’un crucifix dans le groupe n’est pas mentionnée non plus dans le corps du texte de la Regra ; il n’en est question que dans l’appendice. En effet, selon Laurénio Fernandes, l’habitude de porter un crucifix existait bien autrefois, mais elle a fini par disparaître au fil des ans. Cependant, l’auteur affirme que certains groupes continuaient, à son époque, de porter un crucifix. Toujours d’après Laurénio Fernandes, d’autres groupes de pèlerins ont supprimé le crucifix, mais le Christ a été symboliquement ajouté au nombre des pèlerins qui forment le groupe : si un groupe est composé de quarante pèlerins, le nombre annoncé aux populations est de quarante et un. Si la Regra n’impose aucune règle au sujet du crucifix, les trois derniers règlements exigent que chaque groupe en soit doté. La Regra prescrit uniquement que le Christ soit ajouté symboliquement au nombre des pèlerins du groupe. Le deuxième règlement ajoute un autre personnage, celui de la Vierge. Les deux derniers règlements ajoutent, en plus, la figure de Joseph. C’est ainsi que, au fil des ans et des quatre textes successifs, la Sainte Famille devient partie intégrante du pèlerinage.

Actuellement, dans tous les groupes, un des jeunes pèlerins, celui qui est placé entre les deux guides, porte un crucifix. Pour cette raison, il est appelé le cruzado. Précisons que cette dénomination ne figure dans aucun règlement. Cependant, et ce, bien avant le règlement de 2003, il y avait des groupes qui portaient une croix pendant le pèlerinage. Elle était petite et légère. Soulignons également que ce n’était pas toujours le même enfant qui portait le crucifix.

Traditionnellement, le pèlerinage était, selon la tradition orale, dédié au culte de la Vierge Marie, appelée « Nossa Senhora » et invoquée sous ses aspects, compétences, capacités et attributions les plus divers : Nossa Senhora d’Ajuda, Nossa Senhora das Dores, Nossa Senhora dos Anjos, Nossa Senhora dos Remédios, Nossa Senhora da Estrela, Nossa Senhora da Vitória, Nossa Senhora da Guia, Nossa Senhora do Rosário, Nossa Senhora da Misericórdia, Nossa Senhora das Necessidades, Nossa Senhora das Almas, Nossa Senhora da Rosa, Nossa Senhora da Piedade, Nossa Senhora dos Milagres, Nossa Senhora da Saúde, Nossa Senhora das Neves, Nossa Senhora da Aflição, Nossa Senhora das Candeias, Nossa Senhora do Socorro, Nossa Senhora da Conceição, Nossa Senhora da Boa Hora, Nossa Senhora da Luz, Nossa Senhora da Graça, Nossa Senhora da Apresentação, Nossa Senhora dos Prazeres, Nossa Senhora da Missão, Nossa Senhora do Amparo, Nossa Senhora do Pranto, Nossa Senhora de Nazaré, Nossa Senhora da Lapinha, Nossa Senhora da Natividade, Nossa Senhora da Boa Viagem (14).

Nous voyons comment, au fil des textes qui se succèdent, le crucifix prend une place de plus en plus prépondérante et comment, depuis 1989, les deux figures de Jésus et de Marie se redéfinissent comme membres de la Sainte Famille (père, mère et fils). La Senhora est devenue la Mère.


Le « post-pèlerinage »

1958

1962

1989

2003

XXXVI
Tem o Romeiro dever absoluto de continuar a venerar e a respeitar, pela vida fora, o Mestre e o Procurador das Almas […] Os Irmãos devem continuar a amar-se mutuamente, socorrendo-se uns aos outros […]

 

Art.º 13-Todos os romeiros devem:
10- Colaborar, após a romaria, em actividades paroquiais, e participar na reunião mensal a fim de manter o espírito de penitência e oração, como já é costume fazer-se nalgumas paróquias

Artº 8º
g)- Organizar e preparar os encontros, reuniões ou outras actividades do pós-romaria.
(Do Pós-Romaria)
Art.º 38º
O Mestre deverá providenciar um encontro para avaliação, o qual poderá ser precedido pela celebração da Eucaristia Deverão ficar registados em acta, além dos dados de todos os peregrinos,  os momentos mais significativos da  caminhada, em vivências cristãs.
Art.° 39°
Para manter o espírito de amizade e comunhão entre os Romeiros, o Mestre deverá promover reuniões mensais, sempre com um momento de Oração e um tempo para formação cristã. As reuniões deverão ser preparadas antecipadamente, em colaboração com o Pároco, devendo o Mestre providenciar para que todos os Romeiros começam a respectiva agenda e os demais assuntos a tratar.


L’amitié, la solidarité, la fraternité, l’égalité, le partage, l’esprit d’union sont cultivés pendant tout le pèlerinage. Ayant pu interroger, en 2005, un total de vingt-neuf pèlerins sur les sentiments et les émotions qu’ils ont éprouvés à cette occasion, nous avons constaté que ces valeurs humaines étaient considérées par les participants comme la part essentielle et fondamentale de leur expérience. La foi, la prière sont certainement aussi des aspects très importants mais, plus que l’exercice de la spiritualité (l’expérience religieuse au sens officiel du terme), le pèlerinage constitue pour les pèlerins une école où s’affermissent les grandes valeurs humaines. D’une manière générale, les expériences vécues pendant la semaine du pèlerinage diffèrent totalement de celles vécues dans la vie quotidienne. Voici un témoignage qui illustre parfaitement cette différence :


[Esta semana] é totalmente diferente do no nosso dia-a-dia. A gente ali ao virar da esquina é cada um para o seu lado e já na semana da romaria não, no caminho eram nossos irmãos não é ? Se um sente uma dor, todos querem acariciar para que aquela dor passe, todos querem dar um carinho, já na vida quotidiana já não é assim. Aquele convívio, aquela irmandade que a gente vive, o amor que existe entre nós, eu penso que é isso que nos leva a continuar a nossa oração, eu falo por mim.  (15)



Les sentiments d’amitié, le désir du partage, de la fraternité, de la solidarité sont vécus et ressentis, durant cette semaine, au sens plein de ces termes, contrairement aux rapports quotidiens actuels qui privilégient plutôt l’individualisme, l’effort et la réussite personnels. Le témoignage d’un de ces pèlerins montre bien cette différence :


Na nossa vida é mais tipo de uma produtividade, a gente tem que trabalhar, a gente tem os nossos deveres e na romaria não acontece isso, a gente somos amigos uns dos outros, a gente só pensa em nós e a gente só ajuda uns aos outros e na nossa vida [quotidiana] já não é assim. Eu penso que hoje em dia cada um trabalha para si, pois cada dia é mais agitado e a gente não consegue ajudar os outros e naquela semana é diferente, há uma grande união e a gente tenta sempre ajudar os outros. É a união e a amizade que a gente tem uns com os outros.  (16)



Ces valeurs humaines se créent et se consolident durant le pèlerinage et continuent d’exister après lui, quoique d’une manière sans doute moins prononcée, quand la vie reprend son cours normal. C’est pourquoi, après le pèlerinage, beaucoup de pèlerins continuent à s’appeler « frère ».

Alors que, traditionnellement, les pèlerins essayaient de préserver les valeurs de respect, d’amitié et de fraternité après le pèlerinage, ces pratiques spontanées font l’objet d’une mention explicite et tendent même à être imposées par le règlement de 1989. La collaboration des pèlerins à des activités paroissiales et leur participation à une réunion mensuelle sont les deux principaux objectifs énoncés dans ce règlement. Celui de 2003 introduit le terme de « post-pèlerinage » et prescrit d’autres activités encore. En premier lieu, une rencontre d’évaluation doit être organisée par le maître et, si possible, être précédée de la célébration de l’eucharistie. Cette réunion permettra de mettre par écrit les données personnelles de tous les pèlerins (17), ainsi que les moments significatifs du voyage, surtout en ce qui concerne le vécu de leur foi chrétienne. En second lieu, le maître doit organiser des réunions mensuelles afin de maintenir l’esprit d’amitié et de communion qui régnait entre les pèlerins. La prière et la formation chrétienne sont au centre de ces réunions, et c’est la raison pour laquelle elles doivent faire l’objet d’une préparation préalable sous l’égide du prêtre. 

En résumé, nous observons un poids croissant de la religion officielle, du curé de la paroisse et du Groupe coordinateur par la création et l’organisation d’un post-pèlerinage collectif et institutionnalisé. La conséquence en est que l’existence du groupe de pèlerins n’est plus liée à un temps précis – le Carême – mais se maintient toute l’année durant ; le pèlerinage est devenu un mouvement pastoral.


Conclusion

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le pèlerinage romeiros de São Miguel s’est maintenu sur la base d’une transmission orale faisant intervenir des témoins oraux ou auriculaires et embrassant l’ensemble des modes d’existence, de pensée et d’expression de la religiosité populaire. Cette manifestation était régie par une règle « coutumière » qui, selon Zumthor, « impliquait ainsi, au sein d’un groupe social clairement identifiable par chacun de ses membres, adhésion commune à une règle oralement transmise, émanant de la mémoire collective intériorisée ou suscitant, avec le passé social, une relation ontologique : la "coutume" » (18). Dans ce contexte, le pèlerinage, par son ancienneté, par son enracinement dans la terre et la vie des êtres humains, par sa répétition annuelle, suffisait à faire foi.

Vers le milieu du XXe siècle est instituée une loi écrite, destinée à régir et uniformiser cette pratique.

L’analyse textuelle et la comparaison des différentes variantes nous ont permis de connaître le déroulement de ce processus d’écriture lent et progressif depuis 1956. A partir des quatre moments-clés correspondant aux quatre textes, nous sommes parvenue à la conclusion que l’autonomie de la communauté et l’autorité du maître s’effaçaient graduellement, et que de nouvelles autorités prenaient la relève.

Les passages sur lesquels s’appuie notre analyse contrastive concernent les moments-clés du pèlerinage : le choix de la semaine du pèlerinage, la nomination du maître, l’âge du pèlerin, les insignes vestimentaires, la préparation avant le départ, l’organisation et les responsables du groupe de pèlerins, les connaissances du maître, la transmission des fonctions, la visite des chapelles et des églises de l’île, les salutations, le post-pèlerinage. Leur étude met en évidence la perte d’autonomie et d’autorité des détenteurs de la religiosité populaire. Elle montre comment le savoir oral, traditionnel du maître, élément fondateur du pèlerinage, est remplacé, peu à peu, par des connaissances écrites, puisées notamment dans la Bible et la liturgie chrétienne.

L’analyse contrastive des fragments-clés des quatre textes montre aussi que l’autorité traditionnelle, fondée sur une transmission orale et une accréditation par la communauté, d’une génération à l’autre, est remplacée par un système d’autorités plurielles et partagées, mais qui reviennent, au bout du compte, à l’autorité centrale, celle de l’Église.

Nous avons pu montrer également qu’au cours de ce processus, le poids de la religion officielle, de la messe et donc du prêtre, du curé de la paroisse, devenait de plus en plus significatif. L’exigence de la messe et de la préparation doctrinale, ou encore la formation chrétienne et le post-pèlerinage, constituent autant de règles écrites et de prescriptions qui prouvent la réalité du phénomène.

L’analyse a permis de constater que le pèlerinage a subi, depuis l’introduction du règlement écrit, une évolution considérable et rapide. Carlos Melo (19) distingue dans cette évolution trois étapes. De son point de vue, la première est celle de l’officialisation du règlement, sanctionnant le rapprochement entre une manifestation de religiosité populaire et l’Église en tant qu’institution. La deuxième étape, toujours selon Carlos Melo, s’effectue avec la promulgation du règlement de 1989, dont l’objectif était de conférer aux pèlerinages la dimension spirituelle dont ils étaient jusqu’alors jugés dépourvus. L’imposition de la participation quotidienne à la messe, à la communion, à la lecture de passages de la Bible et à la méditation, ou encore le rôle déterminant du curé dans la préparation de l’aspect doctrinal du pèlerinage, sont autant d’illustrations de cet objectif.

La troisième étape s’amorcerait avec la publication du dernier règlement, celui de 2003, dont le but est la transformation des pèlerinages en une nouvelle institution qui pourrait s’appeler le « Mouvement Pèlerins de São Miguel ». Ce mouvement, représenté au niveau de la paroisse par le Groupe Paroissial des Pèlerins, est un mouvement apostolique destiné à donner, tout au long de l’année, une continuité à l’esprit des pèlerinages. De ce fait, le groupe de pèlerins n’est plus considéré comme lié à la période du Carême, mais devient une institution permanente, expression de la communauté traditionnelle transformée en « paroisse ». En ce sens, les préoccupations de l’Église et des laïcs qui sont les plus proches d’elle sont transparentes : il s’agit principalement d’utiliser les pèlerinages à des fins de catéchisation. Les pèlerinages sont devenus un instrument susceptible d’amener les croyants à participer à la vie paroissiale. Ils cessent du même coup de refléter la religiosité populaire pour devenir partie intégrante de la religiosité institutionnelle.

Au cours de nos interviews, nous avons constaté que des maîtres désapprouvent partiellement ou complètement ces changements. Plusieurs d’entre eux sont conscients du fait qu’ils modifient une tradition ancestrale. Henrique Pimentel, par exemple, rejette complètement l’imposition d’un règlement. Selon lui, les règles imposées par le règlement ne sont pas totalement suivies par les groupes de pèlerins, parce que chacun a sa propre manière de faire son pèlerinage. De son point de vue, le règlement est devenu une « politique », dictée par un pouvoir élitiste. Or le pèlerinage a été créé et organisé par la classe populaire de l’île et devrait rester sous son contrôle (20).

D’autres témoins défendent l’idée que l’existence d’un règlement écrit a permis une meilleure connaissance mutuelle des responsables de groupes de pèlerins. Selon eux, elle a contribué à l’uniformisation de divers aspects et à la suppression de certains abus ou pratiques peu légales. Elle a également débouché sur une meilleure organisation des pèlerinages, par exemple en ce qui concerne les lieux d’accueil des pèlerins pour la nuit.

Il n’est pas contestable que, depuis l’instauration d’un règlement, le pèlerinage a gagné en popularité auprès des micaelenses. Le clergé qui, souvent, méprisait, ignorait ou critiquait cette pratique, est aujourd’hui, non seulement en faveur de son maintien mais très impliqué dans sa mise en œuvre. L’admission du maître et le renouvellement de son mandat, la préparation doctrinale du pèlerinage, la création et l’organisation de tout groupe de pèlerins sont autant d’aspects qui imposent, actuellement, la présence et l’approbation du prêtre. Le Groupe coordinateur a, lui aussi, une place importante puisqu’il est l’élément moteur de l’actualisation du règlement. À cet égard, le maître n’est plus le seul détenteur de la loi du pèlerinage, ni le seul garant de son groupe. Son pouvoir d’organisation et de décision est partagé avec le curé et le Groupe coordinateur.

Il est vrai aussi que, depuis le milieu du XXe siècle, des gens de toutes les catégories sociales participent au pèlerinage. Alors qu’auparavant les pèlerins appartenaient essentiellement au milieu rural et étaient issus des classes populaires, d’autres catégories sociales sont maintenant partie prenante des romeiros, comme des prêtres, des médecins, des banquiers, des professeurs et des étudiants. L’officialisation de cette pratique a probablement contribué à faire disparaître le regard assez négatif porté traditionnellement sur le pèlerinage par les élites urbaines. Un changement des mentalités est intervenu au sujet de cette manifestation de religiosité populaire. Avec l’évolution de la société, la structure de la population micaelense s’est modifiée considérablement, notamment dans le sens d’une diminution de la population active liée à l’agriculture et de l’accroissement significatif du secteur des services.

Si le pèlerinage était jadis considéré essentiellement comme l’accomplissement d’une promesse – l’engagement étant motivé par une demande, un vœu que l’on souhaitait voir exaucer –, il est aujourd’hui davantage perçu comme un moment fraternel, égalitaire, communautaire, voire identitaire par excellence. La notion de promesse est passée au second plan. C’est probablement pour cette raison que le nombre des pèlerins a augmenté (21). Mais la contrepartie de ce succès a été l’introduction de règles nouvelles qui ont eu pour effet de modifier, voire d’effacer des coutumes qui avaient traversé les générations et les siècles.



Notas

(1). Carmen Ponte Goujon, Romeiros de São Miguel. Entre tradition et innovation. De l’oralité au texte écrit, thèse de doctorat, Poitiers, Université de Poitiers, 2007.

(2). J. Pouillon, « Tradition », in Pierre Bonte et Michel Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, 1ère éd., Paris, Presses Universitaires de France, 1991, p. 710.

(3). Les prières de salutation les plus traditionnelles sont : « Seja para sempre louvada a sagrada Paixão Morte e Resurreição de Nosso Senhor Jesus Cristo », ce à quoi la famille répond : « Seja para sempre louvado com sua mãe Maria Santissima » ; ou bien : « Que a paz esteja nesta casa e todos quantos nela habitam », et la famille répond : « Amen Irmão ».

(4). « Frère, voici un chapelet déjà prié que nous reprendrons demain. »

(5). « Também esta prática se chama "Visita às casas de Nossa Senhora" e teve origem nas calamidades públicas motivadas pelos terramotos e erupções vulcânicas ocorridas em 22 de Outubro de 1522 e em 25 de Junho de 1563, que arrasaram Vila Franca do Campo e prejudicaram gravemente a Ribeira Grande. » (Aurélio Granada Escudeiro, Regulamento dos Romeiros da Ilha de São Miguel-Açores, Diocese de Angra, 1989, p. 2).

(6). Interview réalisée le 09 / 05 / 2006.

(7). Carmen Ponte Goujon, op. cit., annexe 74. Ce document figure, comme l’ensemble des annexes, dans le CD rom qui accompagne l’ouvrage.

(8). Le président du Groupe coordinateur, Carlos Melo, nous a fourni un modèle de déroulement de chaque réunion de préparation (Carmen Ponte Goujon, op. cit., annexe 75 [sur CD rom]).

(9). « Que la Passion, la Mort et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ soient bénies et louées ».

(10). « Qu’Il soit loué pour toujours avec sa Mère et la nôtre, Marie très sainte ».

(11). Notre informateur Carlos Cordeiro nous a appris que dans le groupe de pèlerins de São Pedro, de la ville de Ponta Delgada, il existe en plus le Conselho do rancho, composé des membres responsables du groupe, à savoir : le maître, le contremaître, le procurador das almas et les guides. Les décisions à prendre dans le groupe sont discutées par ce Conselho do rancho.

(12). Interview réalisée le 09 / 05 / 2006.

(13). Cette coutume a été confirmée par Carlos Cordeiro qui a été membre du groupe de pèlerins de São Pedro.

(14). Cf. aussi : Urbano de Mendonça Dias, A Vila, Ponta Delgada, A crença, [s. d.], pp. 98-101.

(15). Témoignage recueilli lors d’une conversation survenue le 03 / 05 / 2005.

(16). Témoignage recueilli lors d’une conversation survenue le 03 / 05 / 2005.

(17). L’actuel maître des pèlerins du village de Agua de Pau, Artur Almeida, nous a légué le document où sont consignées toutes les données concernant les participants du pèlerinage de 2006. Cette fiche de renseignements inclut le nom, l’âge, le niveau de diplôme, la profession, l’état civil, l’adresse, le nombre de pèlerinages réalisés et les motivations (pèlerinage sur promesse ou sans promesse) des participants (Carmen Ponte Goujon, op. cit., annexe 76 [CD rom]).

(18). Paul Zumthor, La lettre et la voix de la « littérature » médiévale, Paris, Seuil, 1987, pp. 97-98.

(19). Interview réalisée le 09 / 05 / 2006.

(20). Interview réalisée le 08 / 05 / 2005.

(21). Selon nos témoins oraux, il y a de moins en moins de pèlerins qui participent au pèlerinage pour accomplir une promesse ou un vœu. D’après la fiche de présentation du groupe de pèlerins de Agua de Pau, soixante-trois pèlerins ont participé au pèlerinage de 2005. Seulement dix-neuf d’entre eux avaient pour motivation principale l’accomplissement d’une promesse (Carmen Ponte Goujon, op. cit., annexe76 [CD rom]).