La danse de la Conquête au Mexique : signification, origine et évolution

Laëtitia Mathis

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♦ Qu'est-ce que la "danse de la Conquête"?
♦ Une dimension essentielle : la composante textuelle
♦ Le corpus
♦ A la recherche du sens : la méthode structurale
♦ Unicité ou pluralité de la tradition?
♦ Les cases vides et leur signification
♦ Sens et parenté génétique
♦ Un tournant dans l'étude
♦ La critique textuelle, machine à remonter le temps
♦ A l'école de Karl Lachmann

♦ Les cas d'erreurs
♦ L'omniprésence de la lectio facilior
♦ Ecriture et oralité

♦ Les archaïsmes

♦ La question de l'authenticité
♦ Application pratique : le cas des danses de Jalisco
♦ Les autres familles génétiques : relevé de résultats
♦ Les deux danses en langues nahuatl
♦ La question de l'origine unique des versions en langue espagnole
♦ Bibliographie




Table des matières




















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Qu’est-ce que la « danse de la Conquête» ?

On a coutume de désigner par les termes génériques de « danse de la Conquête » les spectacles traditionnels qui mettent en scène, dans diverses régions d’Amérique hispanique, l’affrontement de la population indienne locale et des conquistadors qui tentaient de la soumettre à la Couronne d’Espagne, il y a près de cinq siècles.

Le mot « danse » n’est pas à prendre dans son sens littéral. Il calque le terme espagnol danza qui évoque un spectacle traditionnel dont les aspects musicaux et chorégraphiques sont certes essentiels, mais qui peut également revêtir d’autres dimensions. L’une d’elles, en l’occurrence, apparaît d’une importance déterminante : il s’agit de la dimension dramatique, sachant que les représentations de la danse de la Conquête prennent le plus souvent la forme d’une suite d’échanges dialogués. Les autres traits constitutifs de la tradition sont la perpétuation de celle-ci au sein de communautés indigènes et sa mise en scène par des acteurs / danseurs locaux, à l’occasion des fêtes votives (fiestas patronales) organisées en l’honneur du saint patron du lieu.

La danse de la Conquête est présente dans trois régions d’Amérique hispanique. Sa version andine est le drame de la capture et de la mort de l’Inca Atahualpa, toujours représenté de nos jours au Pérou et en Bolivie et dont les principaux protagonistes sont Pizarro et Atahualpa. Selon les variantes, peuvent apparaître aussi le prêtre Valverde, l’interprète Felipillo, Almagro et divers dignitaires incaïques.

Les événements de la Conquête sont également mis en scène par les Indiens des hautes terres du Guatemala. Cette variante est désignée du nom de baile de la Conquista et a pour principaux protagonistes l’Espagnol Pedro de Alvarado et le prince maya Tecum Uman.

Au Mexique, enfin, la danse de la Conquête oppose Cortés à l’empereur aztèque Moctezuma. Les autres personnages importants sont Alvarado et la Malinche qui, curieusement, est ici l’épouse du souverain. S’y ajoute parfois Cuauhtémoc, neveu de Moctezuma, qui dirigea la défense de la capitale impériale Tenochtitlán après la mort de son oncle. C’est de cette troisième composante dont il sera question ici. Nous l’avons étudiée dans le cadre d’un mémoire de DEA dirigé par Jean-Philippe Husson et prolongé par celui-ci jusqu’à en faire un livre, récemment édité par le CRLA. Nous nous attacherons dans cet exposé à présenter la démarche méthodologique suivie au cours de l’élaboration de l’ouvrage ainsi que les principaux résultats obtenus, à savoir l’identification de l’origine de la tradition et la reconstitution de son évolution jusqu’à nos jours.


Une dimension essentielle : la composante textuelle

L’une des caractéristiques fondamentales de la recherche entreprise est en parfaite cohérence avec la notion de « filiations textuelles » qui préside à notre journée d’étude : elle a consisté à accorder la prééminence à l’aspect textuel de la tradition et, plus précisément, à la comparaison des différentes versions écrites actuellement disponibles. Ce choix s’explique par les circonstances pratiques de la perpétuation de la danse de la Conquête. Dans les trois régions évoquées ci-dessus, un rôle de premier plan est joué par un personnage communément appelé maestro au Mexique, qui dirige les répétitions – les acteurs ne sont pas des professionnels mais de simples villageois – pendant les semaines qui précèdent la représentation. Pour remplir cette fonction, il a recours à un cahier généralement manuscrit dont il a la garde. Or ce cahier, soumis année après année à des manipulations répétées, cesse d’être utilisable au bout d’une durée variable mais qui ne saurait dépasser quelques décennies. Il doit alors être recopié, tâche qui, traditionnellement, incombe au maestro. Mais cette recopie laisse rarement le cahier indemne de fautes de toute nature, allant de la transformation d’un terme à la disparition de passages entiers, sans parler de modifications volontaires, dont nous tenterons par la suite de cerner les motifs. Si, donc, les versions consignées sur deux cahiers distincts ont une origine commune – et cela explique que cette question du lien génétique revête, comme nous le verrons, une importance cruciale – l’analyse comparative de ces versions pourra permettre de préciser les traits de leur ancêtre commun. Répétée sur un nombre plus important de cahiers, la même démarche débouchera sur une connaissance du passé et, pourquoi pas, de l’origine de la tradition, alors qu’une approche de type anthropologique ne donnerait accès qu’à sa signification présente.

Ajoutons qu’une telle approche serait d’autant moins pertinente que la tradition traverse actuellement un processus d’appauvrissement manifeste qui tend à la dépouiller de sa dimension dramatique pour ne lui conserver que ses aspects chorégraphiques et scéniques. Ceux-ci peuvent être spectaculaires, comme en témoigne le cas de la région de Oaxaca où les danseurs arborent un majestueux panache de plumes (photo du haut, ci-contre), d’où le nom de « danse de la plume » sous lequel on connaît cette variante locale de la danse de la Conquête. Mais, autant qu’il est possible d’en juger, les représentations, dans leur grande majorité, sont maintenant dépourvues d’échanges dialogués. Ainsi, à Santa María Atzompa, dans les environs de Oaxaca, la seule réminiscence de l’ancienne œuvre dramatique était la présence, aux côtés des danseurs, de deux jeunes filles, nommées respectivement Malinche et Sehuapila (« femme noble » en langue nahuatl), qui illustraient le dédoublement du personnage de Malinche, trait spécifique de cette branche de la tradition (photo du bas, ci-contre).



Le corpus


Le corpus étudié se compose de treize versions. Il s’agit de textes de cahiers manuscrits qui, après avoir été recueillis par des chercheurs ou des amateurs avertis, ont fait l’objet d’une édition. Les dates de publication s’échelonnent tout au long du XXe siècle.

Ce corpus présente une double diversité :

  • Diversité d’un point de vue géographique. La conquête du Mexique est bien sûr représentée sur le territoire mexicain (10 versions) mais aussi sur celui de deux États d’Amérique centrale : le Salvador (1 version) et le Panama (2 versions) (1).

  • Diversité d’un point de vue linguistique. 11 versions se présentent en langue espagnole, 2 en langue nahuatl.

En ce qui concerne le territoire mexicain, les dix versions disponibles sont originaires des cinq États suivants : Jalisco, Puebla, Veracruz, Guerrero et Oaxaca :

  • État de Jalisco : trois danses.

  • État de Puebla : une danse.

  • État de Veracruz : une danse.

  • État de Guerrero : deux danses.

  • État de Oaxaca : trois danses.

Dans la suite de l’exposé, lorsque nous voudrons nous référer à une version déterminée, nous aurons recours à un code formé par le nom de l’État (souverain ou partie constitutive de la fédération mexicaine) où elle a été recueillie et son ordre chronologique de publication parmi celles du même État. Par exemple : Jalisco 3, Veracruz, Panama 2... Les versions en langue nahuatl sont Guerrero 1 et Puebla.


À la recherche du sens : la méthode structurale

Avant de soumettre ce corpus à une analyse philologique, et donc de nous lancer dans une démarche diachronique, il apparaît opportun, dans une perspective purement synchronique, de chercher à dégager le sens des différentes versions. Une méthode semble bien adaptée à cet objectif : c’est la méthode structurale qui considère l’objet d’étude (le corpus) comme un système dont les éléments (les différentes danses) entrent dans des relations d’opposition. Toute la difficulté consiste à identifier les critères pertinents permettant de mettre en lumière les oppositions les plus significatives.

Un premier distinguo doit être opéré entre les événements mis en scène et le point de vue qui s’exprime sur ces événements. Il est en effet fondamental de ne pas les confondre, sachant qu’un même événement (par exemple la défaite des Aztèques) peut donner lieu à des présentations très différentes selon que la version est favorable aux Espagnols ou favorable aux Indiens. Nous distinguerons donc celles qui expriment un point de vue espagnol de celles qui traduisent un point de vue indien.

En ce qui concerne les événements représentés, deux d’entre eux jouent un rôle décisif :

  • L’attitude des Indiens face aux Espagnols. Elle peut être soit belliqueuse, soit conciliante. Il est important de noter que ce critère ne recoupe pas celui du point de vue : tant la recherche d’un compromis que la résistance à l’ennemi sont conciliables avec un point de vue indien. D’ailleurs, ces deux attitudes sont historiquement attestées de la part des dirigeants aztèques.

  • Le dénouement. Celui-ci traduit le succès ou l’échec de la stratégie mise en œuvre par les Indiens face aux Espagnols. On sait que dans la réalité cette stratégie a été systématiquement perdante, que les Indiens aient opté pour la conciliation ou la résistance. Mais les danses de la Conquête ne se conforment pas toutes à la vérité historique, représentée par le cas, effectivement fréquent, où les Indiens sont vaincus après avoir tenté de s’opposer aux envahisseurs. L’une d’elles, qui se rattache au sous-groupe de la « danse de la plume » (région de Oaxaca) montre les Espagnols mis en déroute par l’empereur Moctezuma qui, magnanime, libère Cortés ! L’attitude conciliante donne lieu elle aussi à deux cas de figure opposés. Le premier est représenté par la version en langue nahuatl du Guerrero. On y voit Moctezuma tenter d’amadouer Cortés en lui envoyant des émissaires chargés de présents. Mais cette stratégie échoue à cause, semble-t-il, de l’incapacité des deux camps à communiquer. Le second cas est incarné par l’autre version en nahuatl, celle de l’État de Puebla. Elle met en scène une entrevue de Cortés et de Moctezuma. Ce dernier adhère immédiatement et avec enthousiasme au christianisme. Quant au conquistador, il s’abstient d’obliger l’empereur aztèque à céder la moindre parcelle de son pouvoir. En d’autres termes, ce troisième critère oppose les danses qui se conforment à la réalité et celles qui optent pour une issue flatteuse mais fictive, c’est-à-dire la virtualité.

En définitive, la combinaison des trois critères précédents, tous les trois susceptibles de donner lieu à deux réponses opposées, définit huit cas qu’on peut représenter sous la forme d’une structure cubique composée de huit cubes élémentaires :





attitude des indiens
                                                                  ATTITUDE DES INDIENS


Cette représentation spatiale, inconciliable avec un ouvrage imprimé, peut toutefois être remplacée par une représentation plane à condition de dissocier l’un des critères des deux autres. Si ces derniers sont l’attitude des Indiens et le dénouement, les huit combinaisons tiennent sur deux tableaux carrés, correspondant respectivement à des points de vue espagnol et indien. Il est alors possible de classer les versions du corpus :


attitude des indiens

Unicité ou pluralité de la tradition ?

Il y a matière à réflexion dans ce tableau d’où se dégagent déjà plusieurs conclusions d’importance notable pour la suite de l’étude.

La première impression est celle d’une grande diversité, notamment si l’on compare les danses mexicaines de la Conquête à leurs homologues andins, c’est-à-dire les drames de la mort de l’Inca Atahualpa. Ceux-ci, classés selon les mêmes critères, s’inscriraient dans une case unique correspondant à la combinaison suivante : réalité + résistance + point de vue indien. Ici, les versions divergent non seulement sur les événements mis en scène, y compris les plus décisifs comme le résultat de l’affrontement, mais également – et, bien entendu, avec des conséquences plus grandes encore sur le sens de ces versions – sur le point de vue, espagnol ou indien, qu’elles expriment. En définitive, elles attribuent à la Conquête des significations très dissemblables pour ne pas dire opposées.

À cette étape de la réflexion, il serait sans doute aventuré de formuler des conclusions définitives. Nous croyons cependant possible de faire part d’une intuition : non seulement les versions mexicaines de la danse de la Conquête sont étrangères aux drames de la mort d’Atahualpa, mais il ne paraît même pas plausible que toutes procèdent d’une tradition unique. Celle de Puebla attire plus particulièrement l’attention : si nous la comparons aux six versions représentatives du point de vue espagnol, elle leur est opposée quel que soit le critère choisi. Comment, dans ces conditions, pourrait-elle avoir la même origine ? Si l’on exclut ce cas-limite, les discordances sur deux critères sont légion : Guerrero 1 avec Oaxaca 1, Puebla avec les quatre danses représentatives de la combinaison réalité + résistance + point de vue indien, Guerrero 1 avec les six danses qui reflètent un point de vue espagnol, Oaxaca 1 avec celles-ci, soit au total dix-sept couples de versions dont les éléments divergent selon deux critères sur trois.


Les cases vides et leur signification

Intéressons-nous à présent aux cases qui, dans le tableau ci-dessus, demeurent vides. Elles sont au nombre de trois, toutes les trois situées dans le carré qui correspond au point de vue espagnol. Pour tenter de dégager la signification de ce constat, il apparaît opportun de distinguer deux causes possibles d’absence de version dans une catégorie. La première est un impératif logique. En effet, les trois critères utilisés pour classer les danses ne sont pas totalement indépendants. Certaines combinaisons peuvent donc attenter à la logique. Mais il peut également y avoir des combinaisons dont l’existence, quoique non vérifiée par l’expérience, serait concevable. À ce cas correspond une seconde cause d’absence, la seule réellement significative, qui réside dans la libre volonté des auteurs.

À l’examen, deux des combinaisons exprimant un point de vue espagnol apparaissent entachées d’un défaut de logique. La première est l’association de la virtualité et de la résistance. En effet, les Espagnols n’ont nul besoin de s’échapper dans une fiction flatteuse puisque la réalité leur a été favorable. L’association de la réalité et de la conciliation est à peine moins absurde puisqu’elle placerait les conquistadors dans la position moralement peu confortable d’agresseurs face à des populations qui les accueillaient pacifiquement. On pourrait rétorquer à cela que ce dernier cas de figure est pourtant abondamment documenté dans l’histoire de la Conquête en général et celle du Mexique en particulier, à en juger par les exemples éloquents du carnage de Cholula, ordonné par Cortés, ou du massacre de la fine fleur de la noblesse aztèque dans le grand temple de Tenochtitlán, perpétré par son lieutenant Alvarado. Mais n’oublions pas que nous n’avons pas affaire ici à des récits historiques mais à des oeuvres de fiction, régies par leur logique propre, en l’occurrence une tendance marquée à l’apologie de l’expansion coloniale espagnole.

Dans le tableau ci-dessous, les cases correspondant aux deux combinaisons que nous venons d’exclure pour défaut de logique sont représentées en grisé.



attitude des indiens

Reste une case inoccupée que nous ne saurions écarter comme les précédentes sur la base de considérations logiques. La combinaison conciliation + virtualité + point de vue espagnol n’a en effet rien d’absurde : des versions conçues dans une telle perspective auraient montré des faits assez voisins de ceux mis en scène dans la version nahuatl de Puebla, mais en leur faisant exprimer un point de vue espagnol. Ainsi les Indiens ne se seraient pas convertis spontanément mais auraient été progressivement gagnés au christianisme, non sans difficultés mais en excluant tout emploi de la force, grâce à un zèle missionnaire fondé sur l’exemple et la persuasion. L’implantation des Espagnols en Amérique aurait suivi des principes altruistes, privilégié la voie diplomatique et respecté les pouvoirs en place. De telles œuvres dramatiques n’auraient pas été anachroniques : elles auraient constitué le versant littéraire des projets de colonisation pacifique que mena Bartolomé de Las Casas, d’abord dans la région de Cumaná au Venezuela (1521), puis plus tard (1544-1547) dans celle de la Vera Paz au Guatemala, ou encore, pour en revenir au Mexique, des phalanstères qui, créés sous le nom de pueblos hospitales par Vasco de Quiroga, évêque de Michoacán, rassemblèrent vers le milieu du XVIe siècle les populations tarasques habitant cette région (2).

Si l’absence de ce type de danse dans notre corpus n’est en soi guère étonnante, elle n’en est pas moins significative d’une réalité qui pourrait bien modifier notre perception générale des versions reflétant un point de vue espagnol : celles-ci, entre la conquête militaire et celle des âmes, tendent toujours à privilégier la première. Or, les deux sont difficilement conciliables : qui se glorifie de ses exploits guerriers rabaisse du même coup le camp adverse et, par voie de conséquence, ne se place pas dans les conditions idéales pour l’amener à lui faire partager sa foi. Ce but impliquait la mise en scène, non pas d’une « conquête », mais d’une « intervention » espagnole pacifique, généreuse et désintéressée, ce qu’aurait pu montrer une danse répondant à la combinaison conciliation + virtualité + point de vue espagnol, si elle avait existé. Tel n’est pas le cas, nous le savons, comme en témoigne l’omniprésence des scènes appelées valentías, au cours desquelles les protagonistes d’un camp célèbrent à tour de rôle leurs prétendues prouesses guerrières avec une ostentation qui confine au grotesque. Peut-on, dès lors, ranger les danses de la Conquête dans ce qu’on appelle le « théâtre de l’évangélisation » ? Les considérations qui précèdent nous donnent de sérieux motifs d’en douter.

Cela ne signifie pas que la dimension religieuse des danses de la Conquête soit mineure. Cette dimension est au contraire prépondérante dans la plupart des versions. Mais, même dans les danses qui lui accordent le plus de place, le discours religieux donne l’impression d’être à usage interne : loin d’être tourné vers le groupe à évangéliser, dont on voit mal par quels attraits il pourrait être séduit – sans même parler des obstacles évidents constitués par la langue et le style employés –, il paraît plutôt remplir la fonction d’entretenir la cohésion du groupe des vainqueurs.


Sens et parenté génétique

Enfin, il nous est apparu digne d’intérêt de nous demander dans quelle mesure la classification des danses en catégories représentatives de leur signification pourrait recouper un autre mode de classement, fondé sur leur éventuelle parenté génétique. Or, pour deux groupes de versions, ceux des États de Jalisco et de Oaxaca, cette parenté ressort de la simple lecture. Pour le premier groupe cité, nous n’en voulons pour preuve que le dialogue suivant, à l’occasion de la rencontre fortuite de Cortés et de Malinche :



Jalisco 1

Jalisco 2

Jalisco 3

Malinchi
Pues dígame quién sois vos,
si vuestro intento declara
para poder resolver
si la ley de usté me agrada.

Cortés
Señora, yo, Hernán Cortés
                        me nombro
de la ciudad de Monroy

Marina
Pues dígame quién sois vos
porque me intento declaro
para poder resolver
si mi voluntad gustare.

Hernán Cortés
Yo Hernán Cortés me nombré
en la ciudad de Monroy.
En busca de ti yo he venido

habla Marina
¿Pues dígame quien Soy Vos, que Comprenda su Cortesia?

 

habla Cortez
Hernán Cortez yo me nombro en la ciudad de Monroy, y en seguimientos

que me creó la adoración
de la magestad más alta
y en seguimiento vengo
de usté, princesa crisol. (3)

buscándote, oh Marina crisol,
mas mis pensamientos son
que tú y tu indito monarca
crean y den adoración
a la magestad más alta. (4)

Vengo de ti Malinche o Clisol, Mas Mis preten-ciones son que tu y tu insignio Monarca, Crean y den adoración a la Magestad Mas alta. (5)

 

Le cas des versions de Oaxaca ne diffère en rien du précédent. Nous relevons également des concordances littérales suffisamment nombreuses et significatives pour exclure toute action du hasard. Nous prendrons pour exemple la séquence suivante, tirée d’une valentía. Les membres de la troupe espagnole surenchérissent sur leur supposée bravoure. Parmi eux, le sergent tient ce discours :



Oaxaca 1

Oaxaca 2

Oaxaca 3

De sargento me has
               nombrado
Diciendo que vienes de
                             paz :
Toca vertido y verás
A lo vivo y lo pintado,
Pues mi espada está
                      presta,
Y sì lo quieres saber
No hay mas que extender
                         la diestra (6)

De sargento me has nombrado
Diciendo que vengo de paz
Toca vertido y veras
En lo vivo y a lo pintado
A mi nada me ha sorado
En esta vida ni en la otra
Porque mi espada esta pronto
Cuando se ha de menester
Y si lo quieres saber
No hay mas que estender la diestra. (7)

De sargento me has nombrado
diciendo vienes de paz
toca a embestir y verás
de lo vivo a lo pintado,
que a mí nada me ha asustado
ni de la otra vida ni de esta
porque mi espada se apresta
a la hora que es menester.
y si lo quieres saber
no es más que tender la diestra. (8)


La parenté génétique des versions de chacun des sous-ensembles de Jalisco et Oaxaca ne souffre donc aucune discussion. Reportons-nous à présent à notre tableau des danses de la Conquête. Celles de Jalisco sont représentatives de la combinaison suivante : attitude belliqueuse des Indiens / dénouement conforme à la réalité. Mais alors que Jalisco 1 traduit indéniablement un point de vue espagnol, Jalisco 2 et Jalisco 3 expriment tout aussi clairement un point de vue indien. La situation des danses de Oaxaca est très similaire : elles occupent deux cases distinctes, représentatives respectivement des combinaisons résistance + virtualité + point de vue indien (version Oaxaca 1) et résistance + réalité + point de vue espagnol (versions Oaxaca 2 et Oaxaca 3). Le cas est même plus significatif que celui de Jalisco puisque les deux cases représentatives du groupe de Oaxaca ne se rejoignent que sur le critère de l’attitude des Indiens (ici : belliqueuse) et s’opposent sur les deux autres, celui du dénouement et celui du point de vue.

Nous constatons donc sur ces deux exemples que la filiation génétique d’un groupe de versions n’implique nullement leur unité de sens.


Un tournant dans l’étude

La conclusion à laquelle nous venons d’aboutir marque un important tournant dans la conduite de l’étude. Elle est certes paradoxale. Si nous voulons sortir de ce paradoxe, il n’est qu’une solution : il faut faire l’hypothèse que certaines danses ont été l’objet de réélaborations radicales qui les ont métamorphosées jusqu’à en changer la signification profonde.

Ce constat signifie que nous sommes au terme de la démarche synchronique que nous avons suivie jusqu’à présent. Du fait des transformations intervenues au cours des siècles, les versions actuelles ne sont plus représentatives de leur origine. Celle-ci s’identifie à un état antérieur aux mutations, ce qui nous oblige à introduire dans notre réflexion une nouvelle variable : le temps. Autrement dit, passer à une approche diachronique.

Allons-nous continuer à avoir recours à la méthode structurale qui, reconnaissons-le dans notre cas, s’est montrée féconde ? Nous ne le pourrons pas pour la raison suivante : bien adaptée à une approche anthropologique, elle est certainement moins appropriée, de par sa nature même, à une approche historique. Souvenons-nous qu’elle conçoit son objet comme un système de signes se définissant les uns par rapport aux autres, sans considération pour le contexte et dans une optique purement synchronique. Le père de la linguistique, Ferdinand de Saussure, a pu comparer une telle optique – il le faisait en prenant l’exemple de sa discipline, mais l’analogie est aisément transposable à toutes les sciences humaines dans lesquelles l’opposition entre synchronie et diachronie a un sens – à celle du joueur d’échec qui, en cours de partie, prend la relève d’un autre joueur (9). Le déroulement passé de la partie lui est strictement indifférent. Or, telle ne pourra plus être notre attitude puisque, pour prolonger la métaphore saussurienne, c’est maintenant aux « coups » précédents que nous nous intéresserons avant tout, autrement dit à l’évolution de la tradition jusqu’à son état actuel. La priorité, dorénavant, sera donc d’accorder notre attention aux aspects pourvus d’une signification temporelle : paléographie, caractéristiques de la langue, traces d’interventions de copistes, incohérences dans la trame dramatique, anachronismes, etc. La tradition universitaire rassemble l’identification et l’analyse de tous ces aspects, qui participent d’une même démarche générale, sous un vocable unique : la critique textuelle.


La critique textuelle, machine à remonter le temps

Si, face au choix d’une nouvelle approche, nous avons opté pour la critique textuelle, c’est parce qu’elle nous est apparue comme une machine à remonter le temps d’une remarquable efficacité. L’idée de base est la suivante : les versions que nous allons soumettre à cette méthode d’analyse sont génétiquement parentes, c’est-à-dire issues d’une même source, ou présumées telles. Leur comparaison permettra donc de discriminer les traits qu’elles ont hérités de leur origine de ceux qu’elles ont acquis à des étapes ultérieures de leur histoire, nous mettant par là même en mesure d’entrevoir les caractéristiques de l’ancêtre commun.

Notre démarche sera fondamentalement inductive : nous partirons des versions les plus proches, donc celles dont nous sommes en droit de penser qu’elles ont divergé à la date la plus récente, et reculerons progressivement dans le passé en prenant pour objet des variantes que séparent des différences chaque fois plus prononcées. Ainsi, nous comparerons tout d’abord les danses dont la communauté d’origine est maintenant acquise – celles de Jalisco puis celles de Oaxaca – et procéderons ensuite de même avec les ancêtres de ces deux sous-ensembles, tels que nous aurons pu les reconstituer, et ceux, le cas échéant, d’autres groupes qui se révéleraient fondés eux aussi sur une filiation génétique.


À l’école de Karl Lachmann


À l’énoncé de ce préambule méthodologique, il apparaît qu’aucune différence de fond ne distingue l’analyse des versions mexicaines de la danse de la Conquête de celle des manuscrits latins, brillamment théorisée au milieu du XIXe siècle par le philologue allemand Karl Lachmann et ses disciples. L’apport de cette école fut d’envisager la critique des divers manuscrits connus d’une même œuvre classique, non plus sous l’angle de leur degré de qualité, comme il était de règle auparavant, mais sous celui des rapports de filiation qu’ils entretiennent et qu’une comparaison systématique tend à mettre en évidence. D’où l’attention accordée aux divergences entre versions et, plus particulièrement, à celles qui résultent d’erreurs de copistes dans le but d’identifier à chaque fois la variante fautive. La réitération de cette opération sur l’ensemble du texte débouche, dans le cas idéal, sur la reconstitution de ce qu’on appelle l’archétype, c’est-à-dire, selon la définition qu’en donne Alphonse Dain, « le plus ancien témoin de la tradition où le texte d’un auteur se trouve consigné dans la forme qui nous a été transmise » (10).

En ce qui nous concerne, nous ne nous fixerons pas pour but de reconstituer un ou des archétypes, objectif trop ambitieux pour des textes dont les différences sont beaucoup plus accusées que celles des manuscrits classiques, mais nous retiendrons celui, plus modeste, d’en identifier les principaux traits. Nous viserons aussi un autre aboutissement de l’analyse comparative des manuscrits : l’élaboration d’un schéma représentatif de leurs rapports de filiation. En l’occurrence, dans la critique textuelle traditionnelle, un tel schéma, appelé stemma, prend la forme d’une arborescence reliant à l’archétype chacune des variantes connues, mais aussi diverses variantes inconnues dont la logique de l’évolution conduit à postuler l’existence.

Nous le constatons, les efforts de formalisation et de conceptualisation déployés au XIXe siècle dans le sillage des travaux de Lachmann n’ont pas manqué de bénéficier à notre propre étude en lui assurant une solide base théorique. Cela étant, il importe de ne pas tomber dans le schématisme : les maestros mexicains et centre-américains qui recopient les cahiers porteurs des danses de la Conquête ne peuvent être totalement assimilés aux copistes médiévaux qui reproduisaient les manuscrits latins ; ils en diffèrent notamment sur deux points fondamentaux : en premier lieu, une moindre fidélité au texte, qu’ils transforment souvent à leur guise ; en second lieu un moindre niveau d’instruction qui multiplie les sources d’erreurs. D’où le sentiment que les textes auxquels nous nous intéressons peuvent offrir à la critique textuelle la possibilité de s’évader de ses cadres traditionnels pour explorer des voies nouvelles.


Les cas d’erreurs

De façon significative, les ouvrages consacrés à la critique textuelle classique réservent une place notable aux différentes erreurs de copistes, qu’ils classent en général en catégories. Les critères utilisés divergent selon les auteurs. Alberto Blecua a recours à celui de l’effet produit et distingue ainsi les cas d’ajout, d’omission, d’altération de l’ordre et de substitution (11). Alphonse Dain, cité plus haut, est représentatif d’une autre option qui privilégie le critère du mobile. De son énumération où les considérations proprement philologiques alternent avec des aspects d’ordre psychologique, nous retiendrons entre autres les fautes de lecture, très souvent causées par l’existence d’un terme presque identique à celui qui est à reproduire ; celles qui sont imputables à la langue maternelle du copiste ; ou encore celles que l’auteur range dans la catégorie du « saut du même au même » consistant, lors du retour au texte à copier, à se positionner sur un mot semblable à celui sur lequel s’est arrêtée la copie, ou très voisin (12).

Quoique tous ces cas soient présents dans les danses de la Conquête, ils s’effacent devant deux d’entre eux dont l’importance est sans commune mesure avec celle qu’on observe dans les manuscrits classiques. Nous allons les évoquer successivement en veillant à dégager, pour chacun d’eux, les conséquences pour notre étude.


L’omniprésence de la lectio facilior

Alberto Blecua désigne du nom de lectio facilior (« lecture plus facile ») un cas particulier de l’erreur par substitution, consistant à remplacer un terme peu fréquent par un autre plus commun et dont les caractéristiques graphiques l’apparentent au premier (13). Le résultat de cette erreur dans les manuscrits classiques est une tendance à la trivialisation. Dans les danses de la Conquête, reproduites par des copistes dont le bagage lexical apparaît en moyenne nettement inférieur à celui de leurs homologues médiévaux, les cas de lectio facilior, non seulement sont beaucoup plus fréquents, mais se caractérisent en général par l’inadéquation flagrante du terme résultant de la substitution, engendrant une perte de sens. À titre d’exemple, citons cette perle tirée d’une réplique de Cortés dans la danse du Salvador : « Caya, fementido, que a tónica estoy de Ver que yndio Monarca me obliga dar razón » (14). La phrase originelle ne peut être que Calla, fementido, que atónito estoy… (« Tais-toi, fourbe, je suis stupéfait de voir qu’un roi indien m’oblige à m’expliquer »). Ignorant le terme atónito (« stupéfait »), un copiste à l’imagination débridée y aura vu celui qui désigne les boissons gazeuses et sucrées de type Schweppes (tónica) ! Comme nous le voyons, la perspective de sombrer dans l’absurde n’est pas de nature à retenir les maestros à l’instruction lacunaire.

Dans notre optique, la lectio facilior nous intéresse en tant qu’indicateur objectif de l’antériorité d’une version (celle qui n’en porte pas trace) à une autre (celle qui en est affectée), à condition bien entendu que le passage concerné dans la seconde soit aussi présent dans la première. De ce point de vue, la grande visibilité de ce type d’erreur dans les danses de la Conquête, pour les raisons qui viennent d’être précisées, représente pour nous un remarquable avantage en ne laissant planer aucun doute sur le sens de la transformation. Notons que ce n’est pas le cas des autres catégories de fautes de copistes, celles qui relèvent de l’ajout, de l’omission et de l’altération de l’ordre, pour reprendre la classification de Blecua, conduisant beaucoup plus rarement à des certitudes en matière de chronologie relative. Retenons en tout cas que ce qui est apparemment incompréhensible, voire aberrant, mérite qu’on s’y attarde tout autant que ce qui est sensé car il est souvent plus significatif.


Écriture et oralité

Une autre caractéristique des danses de la Conquête, elle aussi liée au faible niveau d’instruction des copistes, est l’abondance des fautes d’orthographe, pouvant aller, dans certains cas extrêmes – la version Jalisco 3 et, à un degré encore supérieur, celle du Salvador –, jusqu’à une écriture entièrement phonétique marquée par des confusions constantes entre b et v, entre c, s et z, entre g et j et enfin entre ll et y. Il est significatif que de telles confusions affectent le vocabulaire le plus élémentaire, comme l’atteste l’orthographe « balla » pour vaya relevée dans Jalisco 3 (15) ou encore « lla » et « llo » pour ya et yo respectivement, dans la danse salvadorienne (16). Nuançons tout de même l’impression négative qui pourrait se dégager d’un tel constat en ajoutant, d’une part que certaines versions témoignent au contraire d’un réel souci de correction orthographique, d’autre part que l’extrême relâchement observable dans d’autres peut n’être le fait que de quelques copistes seulement, voire d’un seul placé en bout de chaîne.

En quoi la question peut-elle nous concerner ? En termes de filiation, nous sommes en droit d’en escompter l’indication d’une tendance, si deux versions génétiquement liées témoignent d’un écart variable avec la norme orthographique. Mais surtout, les cas de graves incorrections nous intéressent parce qu’ils posent le problème important des places respectives de l’écrit et de l’oral dans la transmission des danses.

Sans doute la grande majorité des versions de la danse de la Conquête a-t-elle été éditée sur la base d’un écrit et, lorsque cela n’a pas été le cas – c’est-à-dire lorsque la mémoire d’un ancien acteur a suppléé l’absence d’un texte –, tout porte à croire ce dernier était présent à une étape antérieure de l’histoire de la tradition. Ajoutons que cette pratique ne fait que ratifier le simple bon sens, qui commande d’éviter de trop miser sur la mémoire d’un individu et sur sa longévité. Mais qui dit support textuel ne dit pas nécessairement copie : face à des cas de sévère corruption orthographique, il est difficile de croire qu’aussi ténues que puissent être les connaissances en orthographe d’un copiste, il ait pu transformer délibérément le texte qu’il avait sous les yeux. Nous imputerons donc ces cas à la pratique de la dictée – notons qu’il en suffit d’une dans une lignée de manuscrits pour dégrader irréversiblement une version –, la copie restant de règle dans les danses exemptes d’un tel défaut ou affectées de celui-ci à un niveau plus bénin.


Les archaïsmes


La conclusion précédente pourrait sembler démentie par la consultation de la variante du Salvador qui allie une orthographe déficiente à l’extrême à la présence d’archaïsmes. L’un de ceux-ci est le y initial transcrivant un son voyelle, observable par exemple dans la séquence suivante, « trivuto no pago a otro Rey ygual que ni llo » (17), que l’on doit sans doute traduire : « je ne verse pas de tribut à un roi qui n’est même pas mon égal ». Le mot « ygual », porteur de cet archaïsme, coexiste avec « trivuto » et surtout « llo » (yo), à l’orthographe lourdement fautive. Un autre cas de cette surprenante association est visible dans l’énoncé suivant, « Porque están enbenenadas y ci comeris aVéis de rreventar » (18), signifiant « car elles sont empoisonnées et, si vous en mangez, vous éclaterez ». L’archaïsme est ici le r double placé en initiale du verbe « rreventar » et les infractions orthographiques la confusion b / v présente dans « enbenenadas » et « aVeis » (19) et la confusion c / s présente dans « ci ».

Comment expliquer le paradoxe de cette présence conjointe d’orthographes phonétiques et de graphies archaïques typiques des textes des XVIe et XVIIe siècles (20), sachant qu’une dictée aurait certes engendré les premières, mais au prix de l’élimination drastique des secondes ? Comme nous ne pouvons concevoir les archaïsmes relevés ci-dessus que comme des vestiges d’une origine coloniale – ce ne sont pas des cas isolés –, nous sommes bien obligés de postuler une transmission par voie de copie sur l’ensemble de la chaîne jusqu’à la variante qui a fait l’objet d’une édition. Force est, dans ces conditions, d’attribuer les confusions orthographiques à des modifications volontaires.

Deux conclusions nous paraissent pouvoir être tirées des considérations qui précèdent. En premier lieu, nous retiendrons la place importante que tiennent les archaïsmes dans notre approche, du fait de la référence temporelle dont ils sont porteurs. Notons qu’il s’agit cette fois d’une référence absolue, malgré sa marge notable d’imprécision, et non plus relative comme dans le cas de la lectio facilior qui atteste l’antériorité d’une version à une autre. En second lieu, leur coexistence avec des transgressions systématiques de la norme orthographique permet d’opérer une discrimination entre des éléments d’origine et d’autres qui ont été introduits à une étape ultérieure, ce qui correspond exactement à l’objectif que nous nous sommes assigné.


La question de l’authenticité

Outre leur niveau d’instruction généralement plus faible, les copistes des danses de la Conquête, avons-nous dit, se distinguent de leurs homologues médiévaux par leur moindre fidélité au texte. Ils ne sont en effet tenus de s’y conformer par aucune obligation professionnelle, déontologique dirions-nous aujourd’hui, quoique le respect de la tradition puisse en tenir lieu. Il est certainement le principal facteur agissant dans le sens de la conservation. Mais d’autres facteurs agissent en sens inverse, qui peuvent être d’ordre esthétique (agrémenter la représentation), d’ordre pratique (par exemple, la suppression d’une scène peut répondre à la nécessité de respecter une contrainte d’horaire), ou encore d’ordre idéologique. Nous nous rendrons compte que les plus influents sont sans conteste ces derniers. Quoi qu’il en soit, leur action conjuguée explique qu’à côté des modifications involontaires recensées dans les rubriques précédentes, nous en trouvions d’autres parfaitement délibérées. Leur ampleur est très variable : elles peuvent affecter quelques mots comme des scènes entières. Les formes qu’elles peuvent prendre le sont tout autant. La difficulté sera de les identifier, autrement dit, de résoudre la question de l’authenticité.

Entendons-nous bien : le fait de parler d’authenticité n’entraîne aucun jugement de valeur. Aucune danse n’est d’ailleurs proprement inauthentique dès lors que les mutations subies agréent à la communauté qui la représente. Notre définition sera à la fois relative et parfaitement objective : l’authenticité, pour nous, mesurera strictement le degré de proximité par rapport à la version originelle. D’où la nécessité d’identifier, autant que faire se peut, les éléments représentatifs de l’origine et ceux qui ont été introduits ultérieurement. Cette discrimination s’effectuera naturellement cas par cas. Pour l’instant, nous nous contenterons de donner quelques pistes en évoquant successivement les principaux marqueurs d’authenticité et d’inauthenticité.

Au nombre des marqueurs d’authenticité, il y a, nous venons de le voir, les archaïsmes, les plus significatifs et les moins suspects étant les vestiges d’anciennes notations orthographiques. Nous en avons mentionné deux, le r double initial et le y initial transcrivant une voyelle. Citons encore les signes gua notant la syllabe [wa], aujourd’hui transcrite hua.

Les archaïsmes peuvent revêtir d’autres formes, notamment celle de termes ou d’expressions en usage à l’époque coloniale et tombés depuis en désuétude. La prudence reste toutefois de mise car on ne peut exclure que certains mot anciens, loin d’être des traces de la version originelle, aient fait l’objet d’une réintroduction délibérée, opérée par exemple dans un souci d’érudition. Telle semble bien être la cause de la présence, dans Oaxaca 1, des noms Malintzin, Cihuapilli et Teuhtlilli qui désignent respectivement l’épouse de Moctezuma, la jeune femme indigène qui se rallie aux Espagnols et un dignitaire aztèque. Les mêmes protagonistes sont dénommés Malinche, Sehuapila et Teutil dans Oaxaca 2. Les désignations homologues dans Oaxaca 3 sont Malinche, Marina et Teutil mais le personnage de Marina est qualifié de « socapile hermosa » (21) ou « seguapila hermosa » (22). Quoique les formes relevées dans Oaxaca 2 et Oaxaca 3 ne soient que des variantes hispanisées des termes nahuatl originaux, ou plutôt parce qu’il en est ainsi, elles offrent une présomption d’authenticité bien supérieure – particulièrement significatif est l’archaïsme gua de « seguapila » – à celles des formes équivalentes de Oaxaca 1 où la main de Joseph Florimond Loubat, l’éditeur, ne fait guère de doute, du fait même de leur parfaite conformité avec lesdits termes originaux.

Un autre mobile d’introduction artificielle d’archaïsmes peut être de restituer un « cachet » ancien à une œuvre qui a subi des transformations massives. Encore faut-il que les connaissances appropriées permettent à cette intention de prendre corps, ce qui correspond assez mal au portrait-type que nous nous sommes fait des détenteurs de versions de la danse de la Conquête. Dans plusieurs cas, cependant, il y a lieu de formuler cette hypothèse et d’évaluer sa validité au regard de l’hypothèse concurrente d’un véritable archaïsme.

Plus inattendus, en tant que marqueurs d’authenticité, sont les indices de modifications involontaires dont les effets sont toujours ponctuels et qui, surtout, dénotent la volonté de rester fidèle au passage à reproduire. Il en est ainsi notamment de la lectio facilior, engendrée par la conviction – erronée, certes – que le texte est fautif et qu’il y a lieu de le corriger.

À l’inverse, les indicateurs d’inauthenticité seront fondamentalement les traces d’interventions volontaires. Nous en distinguerons trois séries.

La première est constituée par des incohérences qui trahissent l’ajout, le retrait ou le déplacement d’une scène. La version Jalisco 3 est prodigue en exemples de telles absurdités. L’un d’eux dénonce, selon toute vraisemblance, l’élimination d’un passage dans lequel Cortés met en demeure Moctezuma de se soumettre et d’embrasser le christianisme : nous voyons le capitaine espagnol menacer l’empereur aztèque d’une guerre à outrance s’il ne répond pas alors qu’il ne lui a adressé aucune demande. Plus loin, nous rencontrons une longue tirade du trésorier royal des Aztèques qui, non seulement est sans rapport avec l’intrigue mais tranche en outre sur le reste de la pièce par sa composition versifiée et des allusions répétées – les batailles de Magenta et Solferino, l’aigle français – à la France de Napoléon III. Enfin, alors que la danse est proche de son dénouement, nous avons la surprise de voir surgir une « reine espagnole » dont rien n’annonçait l’existence, intercédant auprès de Cortés pour qu’il épargne la vie de Moctezuma.

Une seconde série d’indicateurs d’inauthenticité est constituée par les anachronismes, c’est-à-dire des éléments matériels ou des traits de mentalités caractéristiques d’une époque étrangère à celle de l’action. Ils sont nombreux dans certaines versions, le cas-limite étant représenté par celle de Guerrero 2 où nous voyons Espagnols et Indiens s’entretuer allègrement à l’aide des armes les plus modernes. Les mobiles qui ont inspiré cette conquête revisitée peuvent être identifiés : ils sont dénoncés par un lexique à forte teneur idéologique où dominent les composantes nationaliste et indigéniste.

Enfin, ce n’est pas manier le paradoxe par plaisir qu’affirmer que si les grossières infractions à la vérité historique sont immédiatement suspectes, la rigoureuse fidélité à cette dernière ne l’est pas moins. En elle nous tenons la troisième série de marqueurs d’inauthenticité. Rien en cela qui puisse nous étonner dès lors que la réalité, dans les danses de la Conquête, s’efface toujours devant une représentation symbolique. Là encore, c’est la danse Guerrero 2 qui nous offre les illustrations les plus saisissantes, dûment relevées par Carmen Val Julian qui s’y est intéressée plus particulièrement. Elle nous fait remarquer, par exemple, que lorsqu’il est annoncé que les sept huitièmes de la ville de Tenochtitlán ont été détruits au cours du siège, nous avons là une estimation d’historien contemporain sans rapport aucun avec la perception, nécessairement subjective, des acteurs de l’événement ou des auteurs de la même époque (23). De même, nous dit-elle, lorsque Cortés s’exclame : « Comme je suis arrivé fatigué et fourbu au pied de cet arbre, lieu providentiel, le 30 juin 1520 », la date de l’évacuation catastrophique de Tenochtitlán par les Espagnols – la Noche Triste – et de la perte de la moitié de leurs effectifs, est incongrue. Une telle précision chronologique se situe aux antipodes de l’état d’esprit dans lequel furent composées les versions primitives de la danse de la Conquête (24). L’un et l’autre de ces exemples trahissent le recours à des sources d’époque ou plus sûrement des travaux historiques, voire des manuels scolaires.


Application pratique : le cas des danses de Jalisco

Une fois exposés nos choix méthodologiques, nous nous contenterons d’en présenter succinctement l’application concrète au cas, qui aura valeur d’exemple, des versions de Jalisco.

Ce groupe, dont nous savons maintenant qu’il est constitué de versions génétiquement liées – c’est-à-dire dérivant d’un ancêtre commun – apparaît assez hétérogène. Face à Jalisco 1, qui se caractérise par une apologie du christianisme et de l’expansion coloniale espagnole, Jalisco 2 et Jalisco 3 glorifient la résistance héroïque des combattants aztèques, explicitement présentés comme des patriotes mexicains avant la lettre. Logiquement, ce contraste recoupe celui de la parenté textuelle : Jalisco 2 et Jalisco 3 manifestent de très étroites concordances littérales sur une partie importante de leur cours alors que les similitudes qui rapprochent l’une et l’autre de Jalisco 1 sont sensiblement plus ténues. Dans le droit fil de considérations développées dans les rubriques qui précèdent, nous entamerons notre analyse par une comparaison de Jalisco 2 et Jalisco 3.

En dépit de leurs affinités manifestes, ces deux versions présentent d’importantes différences formelles. Quoique Jalisco 2 soit affectée de nombreuses fautes et incohérences, sa composition versifiée et la présence de divers procédés dénotant une recherche stylistique la situent dans une tradition érudite coloniale. Au contraire, Jalisco 3, par son absence apparente de versification et son orthographe lourdement défectueuse, semblerait plutôt relever de la littérature populaire.

Cependant, un examen plus attentif amène à nuancer sérieusement cette première impression. Notamment, si Jalisco 3 n’apparaît pas d’emblée au lecteur comme un pièce en vers, c’est uniquement parce que la disposition traditionnelle des compositions versifiées – un alinéa systématique en fin de vers – n’est pas respectée. La versification, quoique très irrégulière, y reste virtuellement présente, de même que les vestiges de divers procédés stylistiques caractéristiques d’une œuvre érudite coloniale.

À l’inverse, on relève dans Jalisco 2 des tournures populaires comme l’emploi de pa’ pour para, typique de l’espagnol populaire du Mexique, des incorrections et des maladresses notoires, comme dans cette séquence : « En busca de ti yo he venido buscándote » (25).

En définitive, ces versions se caractérisent toutes les deux par la présence de traits érudits et populaires mais dans des proportions différentes, les premiers prédominant dans Jalisco 2, les seconds dans Jalisco 3. Comme celles-ci procèdent d’un même ancêtre, nous n’avons d’autre recours que de les imaginer comme deux étapes distinctes d’une évolution dont les pôles seraient, l’un un registre érudit, l’autre un registre populaire. Deux schémas sont dès lors concevables en théorie 

  • La dégradation d’une œuvre érudite.

  • La réélaboration savante d’une œuvre populaire.

En réalité, quoique la seconde éventualité soit abondamment attestée dans l’histoire de la littérature, pour ne rien dire de celle de la musique, elle apparaît hautement improbable dans le contexte spécifique des communautés mexicaines qui mettent en scène les danses de la Conquête. En premier lieu, on voit mal qui, en leur sein, aurait réuni les capacités requises pour procéder à la réélaboration savante d’une pièce populaire. En second lieu, à supposer qu’il se soit trouvé un maestro capable de mener à bien une telle tâche, le résultat de celle-ci n’aurait évidemment pas présenté des caractéristiques stylistiques typiques de la littérature coloniale. Enfin, une dégradation, à la différence d’une réélaboration, est un processus graduel, ce qui concorde bien, d’une part avec la proportion différente des traits érudits et populaires dans Jalisco 2 et Jalisco 3, d’autre part avec ce que nous savons de l’action à long terme des copistes des villages mexicains.

Tout, par conséquent, concourt à désigner comme seule évolution plausible celle qui consiste en la dégradation d’une œuvre initialement érudite. Une ultime confirmation nous est apportée par l’analyse d’un cas de lectio facilior simultanément présent dans Jalisco 2 et Jalisco 3 :

Jalisco 2

Jalisco 3

Dime qué pesar te hiciste,
qué gusto te acompaña.
Yo mitigaré tus penas,
yo te libraré esas ansias.
No !, no diga que son arrogancias
porque es tanto mi furor
en esta ocasión ;
verás que tiemble la tierra
y verás que se opaque el sol.  (26)

Pero dime Marina hermosa, que pesar te aflige o que gusto te acompaña, yo mitigaré tus penas, yo mitigaré tus ancias, Mas no digas que són arrogancias por ser tanto Mi furor, en esta ocasión Verás que tiemble la tierra y Verás que se apague el sol.  (27)

 

Dans les deux séquences homologues, le Monarque, autrement dit l’empereur Moctezuma, s’efforce de rassurer son épouse Malinche dont il perçoit l’angoisse. Les premiers vers comportent une succession de termes appartenant au champ lexical de la douleur morale et de l’anxiété (pesar, penas, ansias). Un mot, cependant, échappe à cette appartenance commune : c’est gusto qui relève au contraire du champ du plaisir. Cette inadéquation manifeste au contexte nous invite à suggérer l’interprétation suivante : gusto résulterait de la transformation de susto (« la frayeur ») dont il ne diffère que par une lettre et qui, lui, appartient bien au champ lexical de l’anxiété.

L’intérêt de ce cas de lectio facilior vient de ce qu’il est simultanément présent dans Jalisco 2 et Jalisco 3. Il en résulte qu’un processus de corruption progressive était déjà à l’œuvre avant même que les deux danses ne s’individualisent, preuve définitive qu’elles ont pour origine commune une pièce érudite coloniale.

Une fois ce résultat acquis, nous pouvons passer à la comparaison avec la version Jalisco 1. Celle-ci, sans être exempte de maladresses, a été composée avec un indéniable raffinement, comme en témoignent par exemple les séquences initiales des dernières répliques qui, mises bout à bout, forment le texte de l’Ave María. Au sein du groupe de Jalisco, elle est sans conteste la version dans laquelle la proportion de traits érudits est la plus élevée et celle de traits populaires la plus faible, ce qui tend à confirmer la conclusion tirée de l’étude contrastive de Jalisco 2 et Jalisco 3.

Si, donc, le doute n’est plus de mise quant aux caractéristiques formelles de l’ancêtre commun des danses du groupe de Jalisco – une œuvre coloniale composée dans une tradition érudite –, son contenu reste encore à définir puisque Jalisco 1, d’une part, Jalisco 2 et Jalisco 3, d’autre part, s’opposent sur ce point. Deux considérations, toutefois, nous incitent vivement à assimiler ce contenu à celui de Jalisco 1, autrement dit une apologie du christianisme et de l’expansion coloniale. En premier lieu, des trois versions du groupe, Jalisco 1 est la plus proche de l’origine commune. En second lieu, sa forme s’accorde parfaitement avec sa signification, alors que la forme passée de Jalisco 2 et Jalisco 3, telle que nous l’avons reconstituée, est en contradiction avec leur contenu actuel qui exalte l’héroïsme des combattants aztèques.

Ces premiers arguments, de simple bon sens, sont ratifiés par une analyse approfondie des anachronismes et autres éléments incorporés aux textes des trois danses à des dates tardives. Nous en relevons quelques-uns dans Jalisco 1 où ils renvoient à la période qui suit l’Indépendance. On trouve ainsi une allusion au conflit du Texas et une autre aux dissensions qui opposèrent les fédéralistes aux partisans d’un État centralisé. Mais il ne s’agit que de clins d’œil rapides qui n’altèrent en rien le sens général de la pièce.

Beaucoup plus nombreux, les anachronismes présents dans Jalisco 2 et Jalisco 3 sont surtout d’une nature différente. Ils ont pour effet d’infléchir la signification des deux œuvres dans le sens d’une assimilation des Indiens à des patriotes mexicains. C’est dans cet esprit qu’apparaissent les termes México, Anáhuac – le nom que Morelos donna à l’État dont il proclama l’Indépendance –, nación et patria. La Vierge de Guadalupe, au nom de laquelle se souleva Hidalgo, est elle aussi invoquée à plusieurs reprises ainsi que la bandera tricolor, autrement dit le drapeau mexicain.

Enfin, les versions Jalisco 1 d’une part, Jalisco 2 et Jalisco 3 d’autre part, contrastent par le nombre de leurs protagonistes. Ceux-ci sont peu nombreux dans la première citée, en quantité bien supérieure dans les deux autres. Mais surtout, il apparaît que les personnages surnuméraires de Jalisco 2 et Jalisco 3 ont été tirés de sources spécialisées, c’est-à-dire des chroniques de l’époque et des travaux historiques. Or les danses de la Conquête, de façon générale, ont une portée essentiellement symbolique et ne montrent aucune ambition historique.

Il se dégage des considérations qui précèdent que l’ancêtre commun des versions du groupe de Jalisco s’apparentait, tant sur la forme que sur le fond, à Jalisco 1 :

  • L’œuvre était de facture savante : elle était versifiée et fondée sur l’emploi de divers procédés stylistiques typiques de la tradition littéraire et dramatique espagnole. Son origine coloniale ne souffre aucune discussion.

  • Elle exprimait un point de vue espagnol dont les deux axes majeurs sont l’apologie de l’expansion coloniale espagnole et celle de l’entreprise missionnaire.

Une fois précisés les principaux traits de l’ancêtre commun des versions du groupe de Jalisco, il est possible d’identifier les grandes tendances de l’évolution qui a conduit de cette version primitive à Jalisco 2 et Jalisco 3 :

  • L’incorporation de nombreux traits populaires.

  • La dégradation de Jalisco 2 et, à un degré encore bien supérieur, de Jalisco 3 dont l’orthographe devient phonétique et dont la versification cesse d’être apparente.

  • L’effacement de la dimension religieuse de l’œuvre originelle.

  • L’introduction de nouveaux protagonistes et de détails historiques tirés de sources spécialisées.

  • Et surtout, l’influence d’une idéologie nationaliste dont le signe le plus visible est un afflux de symboles de la nation mexicaine et dont la signification profonde est de faire remonter la naissance de cette dernière à l’époque préhispanique.

Cette conclusion nous conduit à nous intéresser à la version la plus originale : Guerrero 2. Elle est très longue (234 pages manuscrites), extrêmement touffue et remplie d’épisodes dont on ne retrouve l’équivalent dans aucune autre danse. Elle est a priori inclassable. Pourtant, lorsqu’on l’examine attentivement, on s’aperçoit que les traits qui constituent son originalité sont des variantes exacerbées de ceux que nous venons de recenser dans Jalisco 2 et Jalisco 3. L’assimilation des Indiens à des patriotes mexicains est poussée à son paroxysme, engendrant une quantité invraisemblable d’anachronismes. À ceux qui portent sur les symboles de la nation mexicaine, s’ajoutent ceux qui ont trait aux équipements militaires : il y est constamment question de balles, de fusils, de canons, de mitraille, etc., que ce soit dans le camp espagnol où dans celui des Aztèques. Mais les protagonistes et les symboles patriotiques recouvrent dans une large mesure ceux de Jalisco 2 et Jalisco 3, ce qui confirme la filiation qui relie ces dernières à Guerrero 2.

En définitive, on peut conclure à l’existence d’une famille de versions génétiquement liées rassemblant le groupe de Jalisco et Guerrero 2. Le schéma de la page suivante retrace leur évolution depuis leur origine commune.

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TABLEAU SYNTHÉTIQUE DE L’ÉVOLUTION DES VERSIONS DE LA FAMILLE JALISCO-GUERRERO


Les autres familles génétiques : relevé de résultats


La méthode qui vient d’être exposée est ensuite appliquée aux autres versions ou groupes de versions du corpus. Nous n’en évoquerons que les principaux résultats :

  • Au sein du groupe de Oaxaca, l’analyse permet de distinguer une version (Oaxaca 3) qui se révèle être de loin la plus représentative de l’origine commune du groupe. Cette origine s’incarne dans une version primitive dont les caractéristiques sont voisines de celles que nous avons prêtées à l’ancêtre du groupe de Jalisco, tant du point de vue de la forme (son élaboration s’inscrit dans la tradition littéraire espagnole) que du contenu (apologie du christianisme et de l’expansion impériale). Là encore, l’origine coloniale n’est pas douteuse.

  • À ce groupe de Oaxaca peut être associée la danse de Veracruz pour former une famille de versions génétiquement liées appelée famille Oaxaca-Veracruz.

  • À l’analyse, la version salvadorienne et les deux versions panaméennes apparaissent génétiquement apparentées et forment donc une troisième famille appelée famille centre-américaine. Du point de vue formel, les caractéristiques de la version originelle de cet ensemble sont identiques à celles des ancêtres des familles Jalisco-Guerrero et Oaxaca-Veracruz. Du point de vue du contenu, en revanche, il nous est impossible de nous prononcer en toute rigueur du fait de la difficulté de discriminer la danse du Salvador (point de vue indien) et les deux du Panama (point de vue espagnol) sur le critère de la distance à l’origine commune. Cela étant, si la balance devait pencher en faveur de la danse salvadorienne, où le personnage de Cuauhtémoc fait l’objet d’un éloge enflammé, la version primitive se caractériserait par la curieuse association d’une forme intégralement espagnole et d’un contenu résolument anti-espagnol, association peut-être concevable en théorie mais, on nous l’accordera, bien peu plausible en pratique. L’hypothèse alternative d’un contenu pro-espagnol semble donc à nouveau s’imposer.


Les deux danses en langue nahuatl


Nous constatons que les trois familles génétiques précédemment identifiées rassemblent l’intégralité des danses en langue espagnole du corpus, soit onze au total. La remarquable affinité qui lie leurs ancêtres respectifs pose le problème de leur parenté génétique, autrement dit de l’existence d’une version primitive unique dont procéderaient toutes les danses en langue espagnole. Nous tâcherons d’y apporter une réponse à la fin de notre exposé.

Auparavant, nous voudrions évoquer les deux versions restantes, Guerrero 1 et Puebla, toutes les deux composées en langue nahuatl. Elles sont foncièrement différentes l’une de l’autre, mais aussi de toutes les autres danses, chacune d’elles étant représentative à titre exclusif d’une catégorie particulière dans notre classification.

Guerrero 1, qui combine un point de vue indien, une attitude conciliante des Aztèques et un dénouement conforme à la réalité, est centrée sur les ambassades menées par les dignitaires aztèques, sur ordre de Moctezuma, auprès de Cortés. Dans ces ambassades et les présents qui les accompagnent, nous reconnaissons aisément l’un des universaux de la pensée non occidentale, le principe du don et du contre-don, que Marcel Mauss définissait par les trois obligations suivantes : donner – accepter – rendre. Or les allusions réitérées au salut ou au message « qui n’a pas été accueilli », attestent une infraction à la seconde de ces obligations, cause de l’échec des tentatives de compromis et, par voie de conséquence, de l’effondrement de l’Empire, même si celui-ci n’est pas explicitement évoqué dans le texte.

Pour autant, on ne retire pas de la lecture de Guerrero 1 que la responsabilité de cet échec soit imputable aux seuls Espagnols. Il semble qu’il tienne à la trop grande différence des codes culturels en présence, donc à une forme d’incompréhension ou d’ignorance, beaucoup plus qu’à l’intention consciente de Cortés de faire avorter la stratégie de compromis de Moctezuma. La malchance, autrement dit le destin, serait en définitive responsable de la chute de l’Empire. Par là même, Guerrero 1 réussit le tour de force de concilier deux impératifs a priori contradictoires : donner un sens à la tragédie de la Conquête telle que l’ont vécue les Indiens, et échapper à l’obligation, évidemment délicate dans un contexte colonial, de désigner un coupable.

À l’inverse de Guerrero 1, la version de Puebla, qui combine un point de vue indien, une attitude conciliante des Aztèques et un dénouement placé sous le signe de la virtualité, s’inscrit dans les limites temporelles traditionnelles des danses de la Conquête. L’action débute par une entrevue réunissant les représentants des deux camps – Cortés, d’une part, Moctezuma et ses quatre rois vassaux, de l’autre – et s’achève sur la victoire militaire du conquistador. L’originalité de la pièce tient au dédoublement du camp aztèque en deux factions qui s’opposent irréductiblement sur la conduite à tenir face aux Espagnols. Il en découle une structuration de l’œuvre en deux parties aux contenus antithétiques : l’entrevue de Cortés et de Moctezuma sanctionnée par la reconnaissance immédiate par le second de l’autorité du premier et son adhésion enthousiaste au christianisme ; et l’intervention subite de Cuauhtémoc, neveu de Moctezuma, qui lance un vibrant appel à la lutte armée pour chasser l’envahisseur et engage le combat contre lui.

Face au délicat problème du classement de cette version dans la catégorie de la conciliation ou dans celle de la résistance, nous avons opté pour la première qui s’incarne dans un personnage – Moctezuma – que valorise hautement sa conversion, alors que Cuauhtémoc, tenant de l’attitude inverse, voit son égarement doublement châtié par la mort et la damnation éternelle. Néanmoins, à y regarder de plus près, nous sommes troublés par la présence, sous le discours officiel, d’un autre, toujours implicite, qui tend à le délégitimer. Un abîme sépare les paroles de Cortés et Moctezuma de la réalité et leur fait perdre tout crédit. Lorsque Cuauhtémoc a terminé sa diatribe enflammée contre les Espagnols et contre l’empereur, qui n’a pas le courage de les chasser, ce dernier répond tranquillement à son neveu qu’il se trompe et que Cortés, en venant au Mexique, n’est mû que par son amour de l’humanité. Inversement, le seul personnage crédible est Cuauhtémoc, qui accuse les Espagnols d’être des bandits. Chef-d’œuvre de subtilité, la danse de Puebla présente un héros dont le discours est constamment démenti par celui du personnage censé incarner le mal.

Confirmant une intuition dont nous avons fait part au début de l’exposé, la profonde originalité des deux versions en langue nahuatl nous conduit à exclure toute idée de filiation génétique avec les versions en langue espagnole. En particulier, l’idée selon laquelle elles seraient des traductions en nahuatl de versions primitives en espagnol, émise par divers chercheurs, est démentie par l’analyse. Elles se révèlent être au contraire des créations nées du sein même de la population indigène. Pour reprendre le titre de l’ouvrage bien connu de Nathan Wachtel, elles expriment la vision des vaincus (28).


La question de l’origine unique des versions en langue espagnole


Revenons à présent à l’ultime question de notre étude : les trois familles génétiques Jalisco-Guerrero, Oaxaca-Veracruz et centre-américaine qui, répétons-le, rassemblent la totalité des danses en langue espagnole, ont-elles une origine commune ? Le fait que leurs ancêtres respectifs aient des caractéristiques voisines milite en faveur de cette thèse mais n’est pas un argument définitif. La démonstration reste donc à effectuer.

Avant tout, il importe de prendre conscience que notre analyse des danses en langue espagnole a débouché sur la connaissance, non des versions originelles qui ont engendré les trois familles connues – les « archétypes » –, mais des plus récents ancêtres communs aux danses qui les constituent. Ce résultat se comprend sans peine si l’on pense au procédé que nous avons utilisé pour remonter le temps, c’est-à-dire la méthode comparative. Celle-ci, fondamentalement, est une analyse des divergences entre versions. Or, au-delà du dernier ancêtre commun, les divergences cessent puisque seul subsiste un tronc unique indifférencié. Il s’agit désormais de faire sauter les verrous des derniers ancêtres communs afin d’être en mesure de reprendre notre marche vers le passé et, autant que faire se peut, atteindre cette fois les trois archétypes pour vérifier s’ils se réduisent ou non à un seul. La tâche pourrait sembler aisée : dès lors que nous disposons de trois ancêtres communs, n’avons-nous pas de nouveau la pluralité qui est le préalable indispensable à toute démarche comparatiste ? Ce serait oublier que cette démarche n’a porté jusqu’à présent ses fruits que parce qu’elle s’appuyait sur un double constat : la parenté génétique des versions de Jalisco et celle des versions de Oaxaca. Or, nous n’en avons plus l’équivalent puisque la filiation des trois ancêtres communs, loin d’être une donnée, est maintenant l’hypothèse à démontrer.

Pour ce faire, nous mettrons en œuvre une méthode nouvelle fondée sur l’idée qu’une anomalie présente dans l’un quelconque des trois ancêtres serait l’indice d’une transformation intervenue à une étape antérieure de l’histoire de la pièce. En rectifiant l’anomalie, nous aurons accès à l’état qui précédait son intrusion : le cap du dernier ancêtre commun aura été franchi. Dès lors, deux cas se présentent. Si cette nouvelle remontée dans le temps se traduit par une convergence avec les ancêtres des deux autres familles, nous aurons un indice fort en faveur de l’origine commune de toutes les danses en langue espagnole. Si au contraire elle prend la forme d’une divergence, il nous faudra conclure à l’absence de parenté génétique.

Dans la pratique, nous formulerons trois hypothèses heuristiques sur la base du constat de trois anomalies. Elles nous amèneront à postuler que ces dernières résultent d’un processus différencié de dégradation d’une même version originelle.

La première anomalie réside dans la contradiction qui oppose le nom et la fonction de Cuauhtémoc dans Oaxaca 3. Dans cette version, le roi de Tlaxcala, allié indéfectible des Espagnols, porte le nom de Guatemus, déformation de Cuauhtémoc. Or celui-ci a été le héros de la résistance aztèque lors du siège de la capitale impériale. Cette incohérence tend à indiquer que la version primitive dont sont issues les danses de Oaxaca et Veracruz comptait initialement le Cuauhtémoc historique au nombre de ses personnages. Celui-ci a ensuite disparu et son nom a été repris par un autre protagoniste, en l’occurrence le roi de Tlaxcala.

Or le personnage historique de Cuauhtémoc est présent dans les deux autres familles :

  • La version salvadorienne met en scène un personnage appelé Guatimus ou Guatemus qui correspond bien au Cuauhtémoc historique. Tout porte à croire que celui-ci était présent dans l’ancêtre commun des danses de la famille centre-américaine.

  • Il est probable qu’il en était de même dans l’ancêtre de la famille Jalisco-Guerrero car, dans Jalisco 2 et Jalisco 3, les dignitaires aztèques utilisent parfois le nom de « Moctezuma Cuauhtémoc » lorsqu’ils s’adressent au souverain aztèque.

D’où notre première hypothèse heuristique : les trois familles de versions procèdent d’un ancêtre commun mettant en scène le personnage historique de Cuauhtémoc.

La deuxième anomalie réside dans l’incohérence du rôle dévolu au roi de Tlaxcala dans les versions Jalisco 1 et Jalisco 3. Ce rôle suscite la surprise à double titre :

  • Le roi de Tlaxcala appartient au camp aztèque alors que, dans la réalité, les Tlaxcaltèques firent alliance avec les Espagnols.

  • Dans Jalisco 1, le roi de Tlaxcala forme, avec les rois de Texcoco, Cempoala, Tonalla et Xochimilco, un groupe de souverains vassaux de Moctezuma. Un tel groupe existe dans de nombreuses autres versions mais il est constitué de quatre personnages seulement, ce qui renvoie à une division fondamentale de l’espace symbolique chez les anciens Mexicains.

Cette double anomalie tend à suggérer que la version originelle dont est issue la famille Jalisco-Guerrero mettait en scène un camp aztèque composé de l’empereur et de quatre rois vassaux et, de façon indépendante, un royaume de Tlaxcala incarné par son souverain. L’œuvre a ensuite été expurgée des épisodes liés à ce royaume mais le personnage du roi survécut et s’intégra au groupe des vassaux de Moctezuma.

Or, des épisodes initiaux centrés sur l’alliance des Espagnols et des Tlaxcaltèques sont présents dans les deux autres familles de versions :

  • Dans la famille Oaxaca-Veracruz, de tels épisodes existent dans Oaxaca 3 qui est la version la plus représentative de l’origine. Leurs traces sont visibles dans deux autres danses : celle de Veracruz (deux allusions à l’alliance hispano-tlaxcaltèque) et celle de Oaxaca 1 (diverses incohérences engendrées par leur suppression).

  • Dans la famille centre-américaine, des épisodes au contenu très voisin subsistent actuellement dans la version du Salvador. Ils sont accompagnés de notations orthographiques archaïques qui tendent à indiquer qu’ils y figuraient dès l’origine.

D’où notre deuxième hypothèse heuristique : les trois familles de versions procèdent d’un ancêtre commun qui mettait en scène l’alliance des Espagnols et du royaume de Tlaxcala.

La troisième anomalie réside dans l’incohérence du nom de l’épouse de Moctezuma – Malinche ou Marina – et dans la conduite étrange de ce personnage dans les versions de Jalisco. Rencontrant inopinément Cortés, la reine lui annonce après un échange de quelques phrases qu’elle désire être chrétienne. Elle lui propose même, dans Jalisco 2 et Jalisco 3, de lui remettre les trésors de Moctezuma et, dans Jalisco 3, lui déclare froidement qu’elle est prête à trahir son époux. Or, l’instant d’après, dans les trois versions de Jalisco, elle est prise d’angoisses si visibles que l’empereur, auprès duquel elle est inexplicablement revenue, lui en demande la cause. La reine lui annonce alors l’arrivée d’envahisseurs venus de l’est et lui prédit la chute prochaine de l’Empire.

Des scènes homologues sont présentes dans toutes les versions de la famille Oaxaca-Veracruz mais elles mettent en scène deux personnages distincts : d’une part l’épouse du souverain, d’autre part une jeune femme indienne ralliée aux Espagnols qui, en gros, s’identifie au personnage historique de la Malinche. Le personnage unique des versions de Jalisco semble donc résulter de la fusion de deux protagonistes correspondant à ceux de la famille Oaxaca-Veracruz.

D’où notre troisième hypothèse heuristique : les trois familles de versions procèdent d’un ancêtre commun incluant parmi leurs personnages la reine et une indienne ralliée aux Espagnols.

Si nous effectuons la synthèse de ces trois hypothèses, elles se ramènent à une seule selon laquelle les ancêtres des familles Jalisco-Guerrero, Oaxaca-Veracruz et centre-américaine se réduiraient à un même archétype aux caractéristiques suivantes :

  • La présence du personnage de Cuauhtémoc.

  • L’existence de scènes initiales centrées sur l’alliance des Espagnols et des Tlaxcaltèques et la présence, par voie de conséquence, du roi de Tlaxcala.

  • La présence de deux personnages féminins de premier plan, l’un étant l’épouse de Moctezuma, l’autre une jeune indienne noble ralliée aux Espagnols.

  • La présence de quatre rois indiens vassaux de Moctezuma.

Le fait qu’elle expliquerait trois graves incohérences qui, non seulement affectent certaines versions du corpus, mais étaient déjà présentes dans les derniers ancêtres des familles auxquelles elles appartiennent, plaide avec force en faveur de cette hypothèse.

À titre d’ultime confirmation, nous avons procédé à une recherche de concordances littérales entre versions appartenant à des familles distinctes. Cette recherche a débouché sur la mise en évidence de similitudes qui, en dépit de leur nombre limité, sont suffisamment significatives pour qu’il soit impossible de les imputer au seul hasard.

Nous conclurons donc que toutes les danses de la Conquête en langue espagnole dérivent d’une même version primitive, d’origine coloniale, conçue selon les canons de la tradition littéraire et dramatique espagnole et glorifiant le christianisme et l’expansion impériale. Le schéma ci-dessous rend compte de l’évolution de la tradition depuis cette origine jusqu’à l’individualisation des premières versions ou familles de versions. Par la suite, les danses subirent un processus de divergence dont le résultat, de nos jours, est que leur origine commune n’est plus perceptible sans une analyse philologique approfondie. Alors que la moitié des versions, environ, resta fidèle à l’esprit du lointain ancêtre commun, l’autre moitié se chargea d’un contenu radicalement différent, pro-indien, sous l’influence des idées nationalistes et indigénistes.


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Bibliographie

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Notas

(1). À noter qu’elle est également attestée à Saint Domingue jusque vers 1900 et dans les territoires espagnols du Pacifique (Guam et îles Mariannes) au cours du XIXe siècle.

(2). Visiblement inspirée de l’Utopie de Thomas More, qu’avait lue Vasco de Quiroga, cette expérience, fondée sur une stricte organisation du travail et le refus de la propriété privée, assurait aux Indiens la satisfaction de leurs besoins matériels, mais aussi le bénéfice de soins gratuits et d’une instruction obligatoire.

(3). José Cornejo Franco, « La danza de la conquista », Anuario de la sociedad folklórica de México (4), 1943, p. 172.

(4). Francisco Talavera S., « Cuaderno de la danza de la Conquista », Anales del Instituto Nacional de Antropología e Historia (Mexico) 5 (54), 1976, p. 156.

(5). Jesús Jáuregui, Carlo Bonfiglioli, « Un relato popular de la conquista de México : el coloquio de Santa Ana Tepetitlán, Zapopan », in Jesús Jáuregui, Carlo Bonfiglioli (coord.), Las danzas de conquista, t. 1, México contemporáneo, Mexico, Consejo Nacional para la Cultura y las Artes / Fondo de Cultura Económica, 1996, p. 403.

(6). J.[oseph] F.[lorimond] Loubat, « Letra de la "Danza de Pluma" de Moctezuma y Hernán Cortés con los capitanes y reyes que intervinieron en la Conquista de México », in Actes du XIIe Congrès International des Américanistes, Paris, 1900, t. 1, Paris, Ernest Leroux, 1902, p. 253.

(7). Frances Gillmor, « La conquista de México », University of Arizona Bulletin 13 (4), octobre 1942, pp. 47-48.

(8). Esteban Arroyo, Jesús Martínez Vigil, El códice Gracida dominicano sobre la danza de Ya Ha Zucu hoy Cuilapan (la danza de la pluma), Oaxaca, Impr. Mayven, 1970, p. iv.

(9). « Dans une partie d’échecs, n’importe quelle position donnée a pour caractère singulier d’être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu’on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n’a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l’état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. » (Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. critique de Tullio de Mauro, Paris, Payot, 1982, pp. 126-127).

(10). Alphonse Dain, Les manuscrits, Paris, Les Belles Lettres (Collection d’études anciennes), 1949, p. 96.

(11). Alberto Blecua, Manual de crítica textual, Madrid, Castalia (coll. « Literatura y sociedad »), 2001, pp. 20-30.

(12). Alphonse Dain, op. cit., pp. 37-51.

(13). Alberto Blecua, op. cit., p. 25.

(14). Eduardo Matos Moctezuma, « Notas de folklore : la historia de Montizuma, indio mejicano, y Hernán Cortés, español », in Estudios de cultura popular, Mexico, Instituto Nacional Indigenista (coll. « Investigaciones sociales », 9), 1981, p. 50.

(15). Jesús Jáuregui, Carlo Bonfiglioli, op. cit., p. 434.

(16). Eduardo Matos Moctezuma, op. cit., p. 49, 2ème ligne (« lla ») et p. 50, 6ème et 11ème ligne (« llo »).

(17). Ibid., p. 50.

(18). Loc. cit.

(19). Le second pouvant éventuellement être un archaïsme.

(20). Il est vrai que le y initial notant le phonème voyelle /i/ est resté en usage en Amérique hispanique jusqu’à une période récente (XIXe siècle et même début du XXe siècle), dans certains registres très particuliers, notamment la langue juridique. Mais comme de tels usages étaient sans rapport avec la norme écrite commune, ils n’altèrent pas la signification temporelle qui s’attache à ce signe lorsque nous le trouvons dans une danse de la Conquête.

(21). Esteban Arroyo, Jesús Martínez Vigil, op. cit., p. xiv, 2ème colonne, deux premières répliques.

(22). Ibid., p. xvii, 1ère réplique de Malinche.

(23). Carmen Val Julian, « Danses de la Conquête : une "mémoire indienne de l’histoire" ? », in Alain Breton, Jean-Pierre Berthe, Sylvie Lecoin (eds.), Vingt études sur le Mexique et le Guatemala réunies à la mémoire de Nicole Percheron, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail (coll. « Hespérides »), 1991, p. 262.

(24). « Oh, qué cansado y fatigado he llegado al pie de este árbol, un lugar providente el día 30 de junio de 1520 » (loc. cit.).

(25). Francisco Talavera S., op. cit., p. 156.

(26). Francisco Talavera S., op. cit., p. 158.

(27). Jesús Jáuregui, Carlo Bonfiglioli, op. cit., p. 405.

(28). Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, 1530-1570, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des Histoires »), 1971.