Un défi pour l'adepte de la critique textuelle: le cas du copiste ignorant (drames de la mort de l'Inca, Pérou Central)

Jean-Philippe Husson

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♦ Les drames de la mort de l'Inca Atahualpa et leur composante textuelle
♦ Le cas particulier des versions péruviennes centrales
♦ Le statut du quechua dans la sierra centrale péruvienne
♦ L'hétérogénéité dialectale des versions péruviennes centrales
♦ Présentation du corpus
♦ Objectifs de l'étude
♦ Une cause d'erreur fréquente: le poids de la langue espagnole
♦ La méconnaissance du quechua
♦ La perte de références historiques
♦ Les séquences répétitives

♦ Les bénéfices de l'effet de parallélisme

♦ La comparaison des versions d'une même famille

♦ La comparaison des versions de familles différentes

♦ Conclusion






Table des matières





















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En préambule à sa contribution, Daniel Ferrer notait avec justesse le statut très particulier qu’acquérait la notion d’erreur dans une perspective de reconstitution philologique des textes : non seulement elle cesse d’être une exception pour devenir la norme – elle est consubstantielle à l’acte de copie – mais, surtout, elle est le moteur même de l’activité du philologue, fondée sur une véritable science de l’erreur (1). L’intuition, relayée par l’observation empirique, laisse toutefois entrevoir que l’augmentation de la fréquence des fautes cesse d’être bénéfique au-delà d’un certain seuil. Tant que ce seuil n’est pas atteint, la croissance du nombre d’erreurs entraîne celle des divergences entre versions issues d’un même texte-source et, par conséquent, une plus grande efficacité de la comparaison textuelle. Mais on sent bien qu’une prolifération ravageuse qui défigurerait les textes jusqu’à les rendre méconnaissables produirait l’effet inverse. Or cette dernière éventualité n’est pas exceptionnelle. Nous pensons en avoir découvert un cas limite auquel nous nous proposons de porter notre attention dans ce travail : celui des drames de la mort de l’Inca Atahualpa mis en scène dans le Pérou central, plus précisément dans le département d’Ancash et le nord de celui de Lima. Pour des raisons d’ordre linguistique que nous développerons par la suite, les copistes chargés de reproduire les différentes versions manuscrites de cette tradition sont actuellement dans l’incapacité d’en percer le sens, ce qui se traduit par des textes dégradés à l’extrême. Ce cas d’école nous a paru digne d’intérêt pour les problèmes qu’il pose au chercheur spécialiste de la critique textuelle : celui-ci peut-il tirer des enseignements de documents affligés d’un tel degré de corruption ? Aussi surprenant qu’il puisse paraître, nous verrons qu’il n’est pas déraisonnable de l’espérer.


Les drames de la mort de l’Inca Atahualpa et leur composante textuelle


Dans deux vastes régions de la cordillère des Andes – le Pérou central et le sud-ouest de la Bolivie –, les populations indiennes continuent d’honorer une tradition très ancienne consistant à représenter la capture et la mort de l’Inca Atahualpa, exécuté par Pizarre en 1533. Ces représentations qui combinent musique, danse et théâtre prennent la forme d’une série d’échanges dialogués et ont pour acteurs les habitants des communautés qui les perpétuent. Elles se déroulent en général une fois l’an, intégrées au programme des fêtes votives au cours desquelles on vénère le saint patron de la localité.

En quoi cette tradition concerne-t-elle l’adepte de la critique textuelle ? La réponse réside dans la dimension littérale des drames de la mort d’Atahualpa qui, depuis une date très ancienne – si elle ne se confond sans doute pas avec leur origine, elle n’en remonte pas moins à plusieurs siècles –, se transmettent au sein des communautés indiennes au moyen de supports écrits prenant très généralement la forme de cahiers manuscrits. À n’en pas douter, le recours à l’écriture s’est imposé pour répondre à une nécessité pratique, en l’occurrence la mémorisation par des acteurs non professionnels – il s’agit, répétons-le, de simples villageois – de suites de répliques s’ordonnant au sein d’une représentation de plusieurs heures. Il n’est pas indifférent de savoir que les répétitions se déroulent sous l’autorité d’un responsable appelé précisément « maître de répétitions » (ensayador) dont la fonction, souvent héréditaire, inclut aussi la conservation des cahiers manuscrits et leur réécriture. Ce dernier point est d’une importance cruciale pour notre propos. En effet, le cahier, passant de main en main au cours des semaines qui précèdent la représentation, ne manque pas de se détériorer et demande à être périodiquement recopié.

Si l’on ajoute à ce qui précède que nous disposons actuellement d’une vingtaine de variantes de la tradition, en général recueillies et éditées par des universitaires ou des amateurs avertis, et que parmi elles figurent plusieurs familles de versions manifestement apparentées, on comprend alors que la méthode mise au point au XIXe siècle par Karl Lachmann pour l’analyse comparative des manuscrits latins peut parfaitement s’appliquer, sous réserve de quelques adaptations assez mineures, aux drames de la mort d’Atahualpa. L’étude d’ensemble que nous avons consacrée à ces drames (2) a été menée pour une très large part sur la base d’une telle approche philologique, comme celle, plus récente et conduite en équipe, qui porte sur leurs homologues mexicains, connus sous le nom de danses de la Conquête (3).


Le cas particulier des versions péruviennes centrales

Ainsi que nous l’avons annoncé en introduction, le présent article ne portera que sur une partie des versions de la mort de l’Inca Atahualpa. Seront exclues celles qui sont originaires de la Bolivie, mais également de la périphérie de la zone péruvienne de diffusion de la tradition. Cette dernière est attestée dans sept départements péruviens, ceux de Lima, Junín, Pasco, Ancash, Huánuco, La Libertad et Cajamarca, le tout constituant un bloc dont la superficie, assez faible au regard de celle du Pérou dans son ensemble, reste très imposante en valeur absolue. Mais nous n’en retiendrons que la partie centrale limitée au département d’Ancash, auquel nous adjoindrons l’extrême nord de celui de Lima. Les versions issues de la zone périphérique ne présentent en effet qu’un intérêt restreint, d’une part parce qu’elles sont intégralement rédigées en espagnol – celles auxquelles nous nous intéresserons sont bilingues espagnol / quechua –, d’autre part et surtout parce qu’un examen approfondi tend à les désigner soit comme des réélaborations de versions centrales, soit comme des créations ex nihilo, dépourvues de lien avec la tradition.

Par rapport aux versions recueillies en Bolivie, celles du corpus que nous venons de délimiter se caractérisent, avons-nous dit, par un degré de corruption très supérieur, rendant incomparablement plus délicat le travail du philologue. Comme rien ne permet de suspecter les copistes péruviens d’un manque d’application dont seraient exemptés leurs homologues boliviens, il convient que nous nous interrogions sur les causes de cette différence.


Le statut du quechua dans la sierra centrale péruvienne

Un premier élément de réponse à la question que nous venons de poser réside dans la situation aujourd’hui menacée du quechua dans la sierra centrale péruvienne et plus particulièrement dans son piémont océanique. Dès le milieu des années 70, époque de leur travail de terrain dans la région de Cajatambo, Mily Ahón Olguín et Francisco Iriarte Brenner, collecteurs et éditeurs de la version de Manás, avaient noté la fragilité de la position de la langue autochtone :


Debe destacarse el hecho notable que, por ejemplo en Manás y en otras localidades, los jóvenes que actúan en el Drama, no conocen el quechua y sin embargo lo hablan en el acto teatral. Al parecer en los últimos años se está perdiendo cada vez más el habla nativo en la zona, debido a la presencia de intereses externos que dejan en un segundo plano la lengua materna (4)



Vingt ans plus tard, notre propre travail de terrain, opéré dans la même zone géographique, n’a certes pas démenti la justesse de ce diagnostic. Ayant finalement opté pour le site de Huancapón pour notre observation des représentations de la mort de l’Inca, mais aussi pour l’enquête ethnolinguistique qui en était le complément indispensable, nous nous sommes rendu compte que pour disposer de locuteurs capables de manier le quechua avec l’aisance souhaitée, il était nécessaire de viser une tranche d’âge dont le seuil inférieur était voisin de la cinquantaine.

Citons encore le témoignage de l’archéologue péruvien Rogger Ravines à qui nous devons d’avoir recueilli et édité le texte de Llamellín. Quoique cette localité, située dans la partie orientale du département d’Ancash, soit beaucoup plus éloignée de la côte que Manás et Huancapón, le constat que dresse l’auteur n’est guère moins sévère que celui de Ahón et Iriarte : « ...en muchos casos, los diálogos se hallan tan alterados, que devienen en frases inconexas o sin sentido, que los actores repiten sin comprenderlas cabalmente » (5).

Que ce processus de marginalisation de la langue quechua ait eu une incidence négative sur la place des représentations de la mort d’Atahualpa dans les communautés n’est pas contestable, comme l’atteste le cas éloquent de Manás, localité voisine de Huancapón, où la disparition de la tradition se conjugue avec une absence presque totale de locuteurs du quechua. Là encore, le phénomène n’est pas nouveau ; observant que la tradition tendait à accuser une perte sensible de prestige, Ahón et Iriarte attribuaient à cette désaffection progressive des causes clairement linguistiques :


Existe pérdida de giros y expresiones debido, principalmente, a haberse perdido el sentido original de esas expresiones.
Existe un evidente peligro de desaparición del testimonio tradicional, pues la pérdida de prestigio de la lengua nativa y la introducción cada vez mayor y con mayor velocidad de elementos de la Cultura Urbana Occidental, está haciendo perder también el prestigio a la propria presentación de estas obras.(6)



L’hétérogénéité dialectale des versions péruviennes centrales

Si, donc, tout concourt à faire de l’effacement du quechua un facteur-clef des difficultés que connaît actuellement la tradition pour se maintenir, en revanche nous ne croyons pas qu’il explique à lui seul les incompréhensions dont témoignent les textes des versions péruviennes centrales. Bien avant d’effectuer notre travail de terrain, nous pressentions que ces incompréhensions étaient le fait de générations successives de copistes, non pas seulement de l’un d’entre eux, le dernier, qui aurait méconnu la langue de ses pères. Cette intuition s’est trouvée pleinement confirmée par une conversation tenue avec le « maître de répétitions » (ensayador) de Huancapón, lors de notre séjour dans cette communauté. Cirilo Roque commentait à notre intention le contenu du cahier dont il était le détenteur et qu’il avait eu l’amabilité de nous prêter. À un moment donné, nous nous sommes rendu compte qu’il commettait un contresens manifeste en interprétant la réplique ima-kta-mi kamachi-ma-nki kunan punchaw ? (« que m’ordonnes-tu à présent ? »), très fréquente dans la version en question. Pourtant, Cirilo Roque, sexagénaire, maniait avec naturel la variété locale de quechua, bien qu’il résidât désormais à Lima. À quoi dans ces conditions attribuer son erreur ? Nous l’avons imputée à l’hétérogénéité dialectale de la phrase citée ci-dessus. Or, cette caractéristique se retrouve tout au long du texte du cahier et, au-delà, dans la quasi-totalité des drames auxquels nous nous intéresserons dans ce travail. Elle n’est donc aucunement l’effet du hasard : elle renvoie à la longue histoire de la tradition et à sa diffusion dans l’espace andin.

La compréhension du phénomène suppose la connaissance de rudiments de dialectologie quechua, que nous nous efforcerons d’exposer en évitant tout détail superflu. Qu’on sache seulement que les très nombreux parlers quechuas se répartissent en deux grands ensembles dialectaux non mutuellement intelligibles qu’on a coutume de désigner par les termes de quechua 1 et quechua 2. Le quechua 1 s’étend sur une aire compacte qui correspond à la partie montagneuse du centre du Pérou (départements de Lima, Junín, Pasco, Ancash et Huánuco), le quechua 2 sur des aires disjointes situées au nord et au sud de la première. Les variétés méridionales (sud du Pérou et Bolivie) du second de ces ensembles dialectaux sont remarquables à plusieurs titres : elles sont assez faiblement différenciées ; elles concentrent la majorité des locuteurs du quechua ; enfin, elles assuraient à l’époque coloniale la fonction de langue véhiculaire rendant possible la communication interethnique dans un monde en proie à la fragmentation linguistique.

Retenons de ce qui précède que les acteurs villageois qui mettent en scène les versions auxquelles nous nous intéressons dans cet article sont des usagers de parlers relevant de l’ensemble quechua 1 (7), tandis que ceux qui représentent la mort d’Atahualpa en Bolivie sont des locuteurs du rameau quechua 2 méridional. Or, si l’examen des versions boliviennes débouche sur le constat de textes uniformément composés dans des variétés quechua 2 méridionales (8), celui des versions péruviennes centrales met en évidence la présence simultanée de marques spécifiques des domaines quechua 1 et quechua 2 méridional. Cette notable et, a priori, paradoxale hétérogénéité dialectale s’explique, à notre sens, par l’origine commune des composantes péruvienne et bolivienne de la tradition, confirmée par d’autres séries d’indices. Nées dans le sud du Pérou actuel, les représentations de la mort de l’Inca auraient connu une large diffusion dans l’espace andin, notamment dans le Pérou central où elles se seraient progressivement imprégnées de traits typiques de la variété locale (quechua 1) de quechua.

Si, à l’époque coloniale, le caractère linguistiquement composite des versions péruviennes centrales ne faisait pas totalement obstacle à leur compréhension du fait du rôle de lingua franca joué par les variétés quechua 2 méridionales, il est évident qu’il n’en est plus de même de nos jours, la langue véhiculaire interethnique étant désormais l’espagnol. Cette spécificité, jointe au recul du quechua dans la région, explique que les cahiers porteurs des drames de la mort d’Atahualpa donnent l’impression d’avoir été transcrits par des copistes qui, en partie ou même, souvent, en totalité, en ignoraient le sens.

Bien entendu, les deux facteurs que nous venons d’évoquer se combinent à de nombreux autres, communs, eux, à l’ensemble des versions de la mort de l’Inca et, plus généralement, à tous les textes traditionnels reproduits par voie de copie manuscrite : les termes ou expressions qui tombent en désuétude du fait de l’évolution de la langue ; l’action des facteurs physiques tels que l’humidité ou les manipulations intensives dans les semaines qui précèdent la représentation ; enfin, l’inattention du copiste ou son manque de scrupule, pour ne pas dire sa fantaisie, les modifications n’ayant pas toutes, loin s’en faut, un caractère involontaire. Ces divers facteurs agissent invariablement dans le sens de la dégradation. Tel est le contexte qui a donné naissance aux versions péruviennes centrales dont nous disposons et sur lesquelles nous allons maintenant nous pencher.


Présentation du corpus

Les versions retenues pour la présente étude – rappelons qu’elles sont originaires du département d’Ancash et du nord de celui de Lima – se répartissent en trois familles caractérisées par une très étroite parenté textuelle, à tel point que les membres d’une famille donnée peuvent être considérés comme de simples variantes d’un même drame :

  • La première famille rassemble les textes issus des localités de Manás, Huancapón, Gorgor et Ambar situées à l’extrême nord du département de Lima, plus précisément dans la province de Cajatambo pour les trois premières et dans celle, voisine, de Huaura pour la dernière citée. La distance maximale entre ces bourgades est d’une trentaine de kilomètres. Le texte de Manás a été le premier connu grâce aux efforts des anthropologues Mily Ahón et Francisco Iriarte qui l’ont recueilli puis publié en 1985 dans un ouvrage collectif sur les versions péruviennes de la mort d’Atahualpa (9). La linguiste Ana Baldoceda Espinoza a ensuite recueilli deux variantes du drame d’Ambar et a tiré de leur analyse comparative deux éditions, datées de 1992 et 1994 respectivement (10). Puis nous avons recueilli le texte de Huancapón et l’avons retranscrit en annexe de notre thèse de doctorat d’État (11). Enfin, les efforts conjugués d’Ana Baldoceda et de l’auteur de ces lignes ont permis d’exhumer un texte incomplet, encore inédit, de la version de Gorgor.

  • La seconde famille réunit les variantes issues de deux chefs-lieux de provinces localisés dans la partie orientale du département d’Ancash, Llamellín et Pomabamba, distants d’une cinquantaine de kilomètres environ. De Llamellín nous ne connaissons qu’un texte unique, recueilli par l’archéologue Rogger Ravines et édité dans le même ouvrage collectif que celui de Manás (12). De Pomabamba, n’a pour l’instant fait l’objet d’une édition (1985) que la variante recueillie par l’historien Wilfredo Kapsoli (13) mais nous en possédons trois autres, toutes inédites, qui nous furent aimablement communiquées par l’anthropologue Darío Chávez de Paz pour deux d’entre elles et par feu l’historien Edmundo Guillén Guillén pour la troisième.

  • La troisième famille rassemble deux textes du drame mis en scène dans la province de Pallasca, la plus septentrionale du département d’Ancash. Le seul qui ait été publié (1987) a été recueilli et édité par le philologue Teodoro Meneses qui, toutefois, n’en a pas précisé la provenance exacte (14). Le second, inédit, nous a été remis par Darío Chávez de Paz, lequel nous a assuré que les deux textes étaient originaires de la localité de Llapo.


Objectifs de l’étude


La présente contribution s’appuie sur une étude, encore inachevée, des drames recensés ci-dessus. Nous menons cette étude dans la perspective d’un ouvrage sur les versions péruviennes centrales de la mort d’Atahualpa, en nous assignant l’objectif de reconstituer l’archétype – le texte source – des deux premières familles de versions. En ce qui concerne la troisième, cet objectif est probablement hors de portée compte tenu de l’état d’extrême dégradation des deux variantes disponibles (15). À l’inverse, c’est sans nul doute la famille Manás-Huancapón-Gorgor-Ambar qui autorise les plus grands espoirs du fait du nombre de textes connus – cinq, si l’on admet que la reconstruction du drame d’Ambar procède de la confrontation de deux variantes – et, surtout, de leur qualité inégale et de la non concordance de la plupart des erreurs. La famille Llamellín-Pomabamba représente un cas intermédiaire. De cet ensemble se détache le texte de Llamellín auquel une orthographe exceptionnellement archaïque, gage d’authenticité, confère un intérêt considérable, mais qui – contrepartie logique – est infesté d’erreurs au point d’en être illisible en première lecture, du moins pour sa composante quechua. En comparaison, les textes de Pomabamba présentent le double inconvénient d’être des versions notoirement raccourcies du précédent et d’avoir été transcrits dans une graphie modernisée, hélas, sans l’appui des connaissances philologiques indispensables à ce type de tâche. Parfois, cependant, ils peuvent contribuer utilement à la reconstruction de celui de Llamellín.

Dans l’immédiat, plus modestement, nous nous proposons de montrer, à l’aide d’exemples judicieusement choisis, comment les difficultés présentées par les versions péruviennes centrales peuvent être vaincues. Dans l’esprit de l’expression « filiations textuelles » que nous avons placée en exergue de nos journées d’étude, nous accorderons la primauté à l’analyse comparative de séquences voisines, issues soit d’un même texte, soit d’une même famille de textes génétiquement apparentés. Auparavant, nous attirerons l’attention du lecteur sur certains cas d’erreurs de copistes, typiques de notre corpus.

Une dernière précision, avant d’entrer dans le vif du sujet : les versions du corpus sont toutes bilingues au sens où le texte est composé partiellement en quechua, partiellement en espagnol. Ce bilinguisme remplit un rôle fonctionnel, la langue servant de principal marqueur d’identité aux deux parties en présence, les conquistadors et les Incas (16). Dans les scènes qui mettent aux prises des protagonistes des deux camps, la communication est assurée, comme dans la réalité – le fond historique des drames est bien sûr la rencontre de Cajamarca (1532) qui s’est conclue par la capture d’Atahualpa –, par l’interprète indien qu’utilisaient les Espagnols, Felipe.

En ce qui nous concerne, nous choisirons essentiellement nos exemples dans des séquences en quechua puisque, pour les raisons indiquées plus haut, ce sont celles qui opposent le plus de résistance au travail du philologue.


Une cause d’erreur fréquente : le poids de la langue espagnole

De l’examen des versions du corpus, il se dégage que certains types d’erreurs apparaissent avec une fréquence particulière. Citons-en trois : les lettres ou groupes de lettres manifestement erronés ; la coexistence, sous une même mention de personnage, de séquences que tout porte à identifier comme des répliques de protagonistes distincts ou, au contraire, la coupure indue d’une réplique ; enfin, l’emplacement inapproprié de la césure entre deux mots (17).

Arrêtons-nous sur le troisième cas d’erreur. Sa répétitivité dans les textes manuscrits en quechua de toute nature peut s’expliquer par une caractéristique de cette langue, à savoir la structure très simple de la syllabe. Celle-ci obéit invariablement au schéma générique (C) V (C) où C note une consonne, V une voyelle et les parenthèses le statut optionnel de la présence consonantique. Du fait de cette simplicité (18), il est statistiquement assez probable qu’un découpage erroné conserve un sens, aussi approximatif soit-il, ce qui accroît les risques de méprise. Dans notre corpus, cette erreur est fréquente mais le découpage erroné laisse apparaître des mots espagnols, non quechuas. À la réflexion, rien qui puisse nous surprendre dans cette tendance : faute de saisir quoi que ce soit au texte qu’ils sont en train de reproduire, les copistes donnent le sentiment de vouloir se raccrocher à ce qu’ils connaissent, c’est-à-dire aux termes espagnols qu’ils croient – bien à tort – y percevoir.

Les exemples abondent. L’un d’eux apparaît dans une réplique débutant par les mots « Ay que sango runacuna », dans le texte de Llamellín (19). Les deux premiers mots, dépourvus de sens en quechua, du moins sous la forme sous laquelle ils se présentent, en ont un en espagnol, ce qui confère à la séquence « Ay que sango » l’apparence d’une exclamation de détresse, sur le mode de ¡ ay ! ¡ qué triste ! ou ¡ ay ! ¡ qué dolor ! Mais comme « sango » ne signifie rien et qu’aucune forme approchante n’est susceptible de donner un sens à l’énoncé, il faut bien nous résoudre à voir en celui-ci la déformation de termes quechuas, ce que confirme la suite de la réplique où « runacuna » ne peut avoir d’autre signification que « hommes » au pluriel (runa-kuna). Un examen du contexte de la réplique peut contribuer utilement à lui restituer un sens. Les paroles citées sont prononcées par le chœur féminin des palla (20) qui s’adresse à tous ceux qui ont pris part à l’assassinat de Huascar, demi-frère et rival d’Atahualpa. Sur la base de cette observation, s’offre une solution : nous proposons la reconstruction suivante, ayqi-y sunqu runa-kuna, où le verbe ayqi- signifie « fuir » et le substantif sunqu, dont le sens propre est celui de « cœur », exprime ici un penchant, voire un vice. La nature de celui-ci est précisée par le terme qui précède, en l’occurrence l’infinitif substantivé ayqi-y, « la fuite ». « Lâches ! » (littéralement : « hommes portés à la fuite »), s’exclament donc les palla face aux assassins de Huascar. Les deux premiers mots de la réplique témoignent de la tendance des copistes à découper arbitrairement les séquences originelles pour faire ressortir des ressemblances de pure forme avec des termes espagnols.

Nous relevons un autre exemple du même phénomène dans la séquence suivante, « mayor copinchinsacunqui », tirée cette fois du texte de Manás (21). Pas plus que dans le cas précédent, l’énoncé n’a de sens, que ce soit en espagnol ou en quechua, mais le fait que le contexte dans lequel il prend place soit une suite de distiques chantés par le chœur et intégralement composés dans cette dernière langue nous fait soupçonner, là encore, une localisation arbitraire de la césure, motivée ici par le désir de faire apparaître l’adjectif espagnol mayor. Très dégradé, l’énoncé n’est guère susceptible à lui seul de se prêter à une reconstruction. Fort heureusement, nous le retrouvons sous une forme voisine (« mai or capapis chincacullasma ») dans la complainte du personnage appelé Titu Atauchi, dont nous reparlerons bientôt, dans la même version (22) et, à deux reprises (« mai orcopapis chincacullasac » et « mayorcuipami chincacuiqui »), dans la version de Huancapón et le cahier de chant des choristes qui l’accompagne (23). De la comparaison des quatre variantes se dégage la présence constante de l’interrogatif may correspondant à la notion de lieu, le substantif urqu (« montagne ») et la racine verbale chinka- (« perdre » ou « cacher »). Nous sommes dès lors en mesure d’interpréter ainsi la première séquence citée : may urqu-pi-m chinka-ku-nki ? (« dans quelle montagne es-tu allé [ou : vas-tu] te cacher ? »). Nous y voyons une allusion au départ des Incas vers une région montagneuse où ils seraient hors d’atteinte des Espagnols, également présente, sous une forme beaucoup plus explicite, dans la version bolivienne la plus proche de la tradition originelle (24), ce qui confirme notre interprétation et, du même coup, l’hypothèse d’un découpage erroné, résultant de la coïncidence fortuite des deux premières syllabes de l’énoncé et du terme espagnol mayor.

Parfois l’incompréhension du copiste prête à sourire. Située vers la fin du texte de Manás, dans la partie qui correspond aux interventions du chœur féminin, une didascalie attire notre attention par son caractère énigmatique : « Llevan preso al Inca Tituatauchi le acompaña cantando Su llanto hasta su Castillo ya no hay Gongor Saias » (25). Nous comprenons qu’Atahualpa a été fait prisonnier et qu’il est emmené vers une petite construction faite de tentures montées sur des piquets – tel est en effet le « castillo » évoqué dans la séquence citée – qui lui sert de demeure et dans laquelle il sera exécuté. Son frère et conseiller Titu Atauchi l’accompagne dans cette marche vers son destin en entonnant une complainte. La difficulté se présente à la fin de la didascalie : nous serions tenté d’interpréter celle-ci comme le signe qu’un personnage appelé Gongor Saias a quitté la scène, mais il se trouve qu’aucun protagoniste du drame ne répond à ce nom. La solution du mystère réside dans les pages qui précèdent – toujours dans la partie qui correspond aux interventions chantées du chœur – où, à plusieurs reprises, nous relevons la séquence « Gongor saias pami chayallanqui » (26) qui complète les deux termes inconnus et nous engage à tenter une interprétation. Ayant identifié le substantif qunqur (« genou ») et les racines verbales saya- (« se tenir ») et chaya- (« arriver »), nous proposons la reconstruction suivante : qunqur saya-spa-mi chaya-lla-nki (« tu arriveras [en te tenant] à genoux »). Rétrospectivement, l’assimilation du groupe de lettres « Gongor Saias » à un nom propre est d’autant moins fondée qu’elle opère une césure au sein même d’un morphème grammatical (le gérondif -spa-) et qu’elle laisse sans signification les lettres « pami ». La didascalie citée plus haut prouve que telle était pourtant la perception du copiste. Selon toute vraisemblance, cette indication, sous sa forme primitive, avait pour but de prévenir les choristes que la séquence débutant par « Gongor » n’avait plus à être chantée.


La méconnaissance du quechua

Les exemples précédents, en nous montrant des copistes qui se raccrochent à d’illusoires similitudes formelles avec l’espagnol, attestent implicitement de leur piètre connaissance du quechua, pour ne pas dire plus. Mais, souvent, la faiblesse de leur bagage linguistique apparaît explicitement par le biais d’incorrections diverses, grossières pour certaines. Nous relevons un premier cas dans la séquence suivante, extraite du texte de Llamellín : « quesques sinche runa catiquilla tupayupanque tucuillaiqueta runaiquicunata guan biracuchacunata allpa con tayta ruranqui » (27). Cet énoncé présente des difficultés de plusieurs types, que nous tâcherons de résoudre en les affrontant par étapes successives. Nous remarquons tout d’abord que la réplique est attribuée à l’Inca Atahualpa et qu’il y est question d’une action, exprimée par la racine verbale rura- (« faire ») conjuguée à la deuxième personne et précisée par un complément (« allpa con tayta ») que nous expliciterons ultérieurement. Quoique la terminaison -nki de rura- laisse théoriquement le choix entre un sujet singulier et un sujet pluriel, de même qu’entre le temps présent et le temps futur, il apparaît évident que nous avons affaire à un ordre de l’Inca adressé à plusieurs personnes (« vous ferez »). Ces personnes, nommément désignées, se révèlent être des familiers d’Atahualpa, réels ou fictifs (28) : Quisquis, Sinchi Runa et Tupa Yupanqui sont des dignitaires et Catequilla une espèce de factotum qui remplit notamment la fonction de messager du souverain. Mais l’action verbale implique également des actants objets – ceux, donc, sur lesquels s’exerce cette action – qui, en principe, devraient être repérés par la marque -ta de l’accusatif. En principe seulement, car nous trouvons cet affixe casuel dans « tucuillaiqueta » (tukuy-lla-yki-ta : « vous tous »), « runaiquicunata guan » (runa-yki-kuna-ta-wan : « ainsi que vos gens ») et enfin « biracuchacunata » (wiraqucha-kuna-ta : « les Huiracochas », autrement dit « les Espagnols »). L’erreur, ici, est manifeste : le terme tukuy-lla-yki englobant Quisquis, Sinchi Runa, Tupa Yupanqui et Catequilla, ces derniers se retrouvent à la fois dans la position de sujets et d’objets de l’action verbale, ce qui est absurde. En définitive, sur les trois marques de l’accusatif présentes, deux sont fautives, la seule qui se justifie étant celle qui désigne les « Huiracochas » comme objet de l’action ordonnée par l’Inca.

Reprenons : Atahualpa enjoint à ses dignitaires, son messager, l’ensemble des présents et « tous leurs gens » d’entreprendre une action visant les Espagnols. Compte tenu du thème du drame, on ne voit guère dans quel domaine pourrait se situer cette initiative si ce n’est celui de la guerre. C’est bien ce que confirme la didascalie qui suit la réplique, écrite, comme il est de règle dans l’ensemble du corpus, dans un savoureux castellano de sierra : « (Vatalla dado la buelta por la plaza asta llegar al tablado di buscando alli el pizarro y lo prinden enchando la mano a los cuellos del Ynga y lleban preso y suenan cajas) ». Nous comprenons qu’a été lancé l’assaut qui conclut la rencontre de Cajamarca et que l’Inca a été fait prisonnier.

Revenons à présent à l’ordre donné par le souverain, exprimé, comme nous le savons, par la séquence « allpa con tayta ruranqui ». La seule reconstruction qui nous paraisse envisageable est la suivante : allpa quntay-ta rura-nkiallpa désigne la terre, mais aussi la poussière (29), et quntay la fumée (30), d’où, pour le composé allpa quntay, le sens de « nuage de poussière » et, pour l’énoncé dans son ensemble, la traduction : « Quisquis, Sinchi Runa, Catequilla, Tupa Yupanqui, vous tous ainsi que vos gens, vous soulèverez des nuages de poussière [face] aux Huiracochas ». La métaphore est limpide : l’action de « soulever des nuages de poussière » face aux ennemis n’est autre que celle de combattre, comme le confirme sa présence, avec un sens a priori identique, dans une scène antérieure (31).

Nous observons enfin que, comme dans les cas évoqués plus haut, l’incompréhension du copiste se manifeste par une césure intempestive. En l’occurrence, le copiste ignorant aura scindé le mot formé par le lexème quntay et la marque de l’accusatif -ta qui lui est associée en la conjonction espagnole con et le terme tayta « père ». Quoique pleinement intégré, de nos jours, au lexique quechua, ce dernier vocable est un emprunt à l’espagnol et subsiste d’ailleurs dans divers parlers régionaux, tant en Espagne qu’en Amérique hispanique (32).

Dans le cas que nous venons de présenter, la faute de langue tenait à la présence indue de deux marques de l’accusatif. Inverse de la précédente, mais de gravité équivalente, est l’erreur visible dans la réplique suivante, également extraite de la version de Llamellín : « Veracucha billai tupamaro allechuscosac cacharimanampac caiguasipe chaupencama cullqueta curetapas » (33), ce qui signifie : « Tupa Amaru [tel est, curieusement, le surnom de l’interprète Felipe dans le drame de Llamellín], avertis les Huiracochas [que] j’entasserai de l’or et de l’argent dans cette demeure jusqu’au milieu [jusqu’à mi-hauteur] pour qu’ils me libèrent ». Nous reconnaissons la scène, historiquement attestée, au cours de laquelle l’Inca fait part aux Espagnols de son offre de rançon (34). Une marque de l’accusatif aurait dû figurer en composition avec le terme wiraqucha, désignation métaphorique des conquistadors, afin d’indiquer que ces derniers étaient bien les objets de l’action exprimée par le verbe willa- (« avertir »).

Dans le même ordre d’idées, il faut mentionner également le surprenant « llactainiquepac » terminant la réplique de Felipe qui précède celle d’où nous avons tiré l’exemple ci-dessus (35). Placé dans une séquence particulièrement obscure, ce mot, qui signifie probablement « pour ton peuple », est composé d’un lexème et de trois morphèmes grammaticaux, les deux derniers étant la marque du possessif de deuxième personne -yki et celle du datif -paq. Devant la marque du possessif prend place le morphème sémantiquement vide -ni- dont la présence, dictée par des considérations d’euphonie, est indispensable dès lors que le lexème se termine par une consonne ou une semi-consonne w ou y. Le mot « llactainiquepac » n’a donc pu être formé, dans l’esprit de celui qui l’a écrit, que sur la base d’une hypothétique racine nominale *llaqtay. Or cette racine n’existe pas : elle s’est de toute évidence substituée au terme llaqta qui, initialement, désignait le territoire ethnique – après la conquête, il s’est chargé de nouveaux contenus : « la ville », « le pays » – et qui aurait dû donner lieu à la forme llaqta-yki-paq. Nous entrevoyons sans peine la cause de cette erreur : nous incriminerons l’appartenance du lexème llaqta à une aire dialectale (quechua 2 méridional) distincte de celle dont le copiste était originaire (quechua 1), laquelle ne connaît que la variante marka.

Néanmoins, toutes les fautes de langue présentes dans le texte de Llamellín ne sont pas imputables, loin s’en faut, à la même cause, à commencer par le confondant « runa yurac uyayoc » (runa yuraq uya-yuq : « homme pourvu d'un visage blanc ») (36), dans lequel le déterminant yuraq uya-yuq (« visage blanc ») suit le déterminé runa (« homme »), au mépris de la plus élémentaire des règles de la syntaxe quechua. De telles fautes grossières dénoncent l’intervention de copistes dont la connaissance du quechua apparaît des plus rudimentaire.


La perte de références historiques

Si les drames de la mort d’Atahualpa prennent, de façon générale, de très notables libertés avec l’histoire, si, notamment, la réalité s’y efface devant une vision mythique et symbolique des événements, il n’en demeure pas moins qu’elles sont construites autour d’un fait réel, la rencontre de Cajamarca et ses prolongements. Dès lors, les allusions historiques, même erronées ou anachroniques, ne peuvent en être absentes. Dans le cas des versions de notre corpus, du fait du savoir fragmentaire de ceux qui ont pour mission de les reproduire, comment croire que nous pourrions les trouver intactes ?

L’examen des versions péruviennes centrales ne dément certes pas ce pronostic : la perte de références historiques est en effet un facteur important de dégradation. Un premier exemple, que nous puiserons dans le texte de Manás, nous semble très éclairant. Il concerne la curieuse orthographe du nom de l’un des protagonistes de la pièce, Titu Atauchi. Ce général de Huascar (37) qui, pour la circonstance, se mue en frère et principal conseiller d’Atahualpa, voit son nom écrit tout d’abord « Tituatauchi » (38), aussi bien dans les répliques d’autres personnages qui s’adressent à lui que dans les mentions introduisant ses propres répliques. Puis, dans le cours d’une réplique, apparaît l’orthographe « Titua Tauchi » (39) tendant à indiquer une séparation en deux composantes, « Titua » et « Tauchi ». Or l’étymologie de ce nom – comme la grande majorité des anthroponymes préhispaniques, il était sémantiquement motivé – dément la pertinence de cette décomposition (40). Pourtant, telle est bien l’option retenue dans la pièce puisque, un peu plus loin, les dernières répliques du personnage sont introduites par la mention abrégée « TITUA » (41). À noter que le même personnage voit, dans le texte d’Ambar, très voisin de celui de Manás, son nom orthographié sous la forme « Titautachi » (42), encore plus fautive.

Toujours au titre des pertes de références historiques, nous pourrions évoquer le cas d’un autre protagoniste du groupe Manás-Huancapón-Gorgor-Ambar, dont le nom apparaît sous la forme « Yachacmauta » (43). Atahualpa, dont il est visiblement proche, le charge de missions délicates. Plus qu’un nom, le terme par lequel il est désigné traduit sa fonction : en « Yachacmauta », on reconnaît en effet sans peine les termes quechuas yacha-q, littéralement « celui qui sait », donc « le savant », et amawta, dénomination, à l’époque incaïque, des dépositaires de la tradition, dotés, en outre, de pouvoirs de divination. À en juger par son orthographe, cependant, cette désignation n’était plus interprétée comme telle par les copistes auxquels nous devons les textes que nous connaissons.

Au cours des pages qui précèdent, nous avons pu nous rendre compte des pratiques des copistes des versions de la mort d’Atahualpa, notamment de leurs réactions en présence de textes qu’ils étaient censés connaître mieux que quiconque et qui, en réalité, leur étaient devenus hermétiques. Cette recherche s’est révélée riche d’enseignements puisqu’elle nous a permis, face à des séquences affligées de dégradations diverses, voire, parfois, lourdement fautives, d’en reconstituer, sinon la forme originelle, du moins celle qui précédait l’erreur. Dans la même perspective, nous voudrions consacrer la fin de cette contribution à un cas sans doute particulier, mais fréquent et très prometteur : celui des énoncés présents, sous des formes voisines, en plusieurs exemplaires.


Les séquences répétitives

Les versions péruviennes centrales, avons-nous annoncé en présentant notre corpus, sont susceptibles d’être regroupées en trois familles distinctes au sein desquelles les analogies sont si flagrantes que la communauté d’origine des drames d’une même famille ne souffre aucune discussion. Nous tirerons bien entendu profit de cette parenté. Mais avant d’aborder ce cas, riche, en effet, de possibilités de reconstruction philologique, nous voudrions exposer celui des affinités textuelles internes à un drame donné. Sa fréquence assez grande tient à une caractéristique des versions de la mort d’Atahualpa et, plus généralement, des textes traditionnels en quechua : leur notable répétitivité. Nous l’illustrerons par un exemple tiré de la pièce de Manás qui nous paraît d’un grand intérêt, tant pour sa valeur méthodologique que pour les résultats auxquels il permet d’aboutir. Nous le trouvons dans une scène qui, non seulement est une constante des drames de la mort de l’Inca, mais aussi l’un des épisodes-clés de la rencontre de Cajamarca : mis en présence du souverain péruvien, le père Valverde, prêtre de l’expédition, lui remet les Évangiles. Cet objet inconnu suscite divers commentaires de la part d’Atahualpa et de ses familiers, qui le désignent en ces termes :

  • cai imac pampasi chichicuro sinallastascata

  • cai inrac pampapi chichiruco sina llastacuta

  • chachichi cura sinallastacata

  • chai yurar pampapi chichi curo nirac llastasta

  • cai chichi curo nirac llastascata  (44)

 

Quoique à des degrés divers, ces variantes ont toutes subi des dégradations importantes, d’où il ressort qu’aucune d’elles, prise isolément, n’est de nature à permettre la reconstitution de l’énoncé originel. En revanche, nous sommes en droit d’espérer que cet objectif sera atteint au moyen de la comparaison des séquences homologues. Cette démarche doit néanmoins être menée morphème par morphème, ce qui est l’objet du tableau ci-dessous :


1

2

3

4

5

6

7

cai

imac

pampasi

chichi

curo

sina

llastascata

cai

inrac

pampapi

chichi

ruco

sina

llastacuta

cha

 

 

chichi

cura

sina

llastascata

chai

yurar

pampapi

chichi

curo

nirac

llastasta

cai

 

 

chichi

curo

nirac

llastascata



L’effet de la distribution statistique des erreurs est qu’elles sont assez bien réparties dans le tableau, d’où il résulte que dans chaque colonne s’impose une solution, correspondant à la variante pourvue d’un sens ou, du moins, celle qui suppose la transformation la plus minime pour en acquérir un. Voici, cas par cas, la solution retenue :


Colonne 1 :  Nous retenons le démonstratif kay qui correspond aux objets proches (lignes 1, 2 et 5). À noter que les lignes 3 et 4 tendent à indiquer un autre démonstratif, chay, à localisation indéfinie.

Colonne 2 :   Les transformations les plus minimes susceptibles de déboucher sur un sens sont celles qui consistent à substituer un u au n de "inrac" (ligne 2) et un c au r final de"yurar" (ligne 4), ce qui aboutit aux formes reconstituées *iurac et *yurac, lesquelles procèdent du même lexème dont la forme normalisée est yuraq (« blanc »).

Colonne 3 :  La forme majoritaire « pampapi » résulte de la composition du lexème pampa et du morphème grammatical -pi, de contenu locatif. Il est à noter que pampa, souvent traduit de façon restrictive par « plaine », désigne en réalité toute surface plane, quelle que soit sa matière et son étendue. L’une des propriétés les plus remarquables du lexique quechua est en effet de comporter une série de termes dont la validité se maintient indépendamment de toute notion de dimension (45).

Colonne 4 :  La forme « chichi » recueille l’unanimité. Nous la rapprocherons  du substantif chichiy que le dictionnaire de Gary John Parker et Amancio Chávez Reyes, relatif à un groupe de parlers voisins de ceux du nord du département de Lima, définit ainsi : « Abundancia de yerbas en terrenos sembrados » (46). Nous retiendrons de cette définition le sème de « foisonnement » dont nous verrons immédiatement le lien avec le terme qui suit.

Colonne 5 :  Nous retenons la forme majoritaire « curo » qui correspond au substantif kuru désignant les vers (animaux invertébrés). Dans notre séquence, kuru est précédé du déterminant chichiy, l’ensemble ayant le sens de « vers grouillants ».

Colonne 6 :  Nous relevons deux formes distinctes, « sina » (lignes 1, 2 et 3) et « nirac » (lignes 4 et 5) qui, ne pouvant en aucun cas dériver l’une de l’autre, doivent être considérées comme deux possibilités indépendantes. La première correspond au morphème comparatif -sina (« comme »). En ce qui concerne la seconde, visiblement formée sur la racine verbale ni- ou ñi- (« dire »), nous avouons ne pas être en mesure de l’intégrer à l’énoncé sous une forme grammaticalement cohérente, mais croyons qu’elle pourrait être de sens voisin de la première.

Colonne 7 :  Nous retenons la forme majoritaire « llastascata », résultat de la composition d’une racine verbale et de deux morphèmes grammaticaux successifs. Nous assimilons la racine verbale llasta- à celle que le dictionnaire de Parker et Chávez Reyes mentionne sous la forme infinitive « lashtay » avec la définition : « Pegar con goma ; empastar la pared » (47). Le morphème suivant est la marque -sqa de l’accompli qui remplit la fonction de nominalisateur. Enfin, prend place la désinence casuelle -ta de l’accusatif.

En définitive, de la comparaison des cinq variantes se dégagent deux énoncés cohérents, l’un complet (lignes 1, 2 et 4) et l’autre abrégé (lignes 3 et 5). De chacun d’eux, nous donnerons la reconstruction paléographique, la transcription normalisée et la traduction. Cette dernière est fondée sur le constat que la base de l’énoncé est le déverbal lasta-sqa signifiant « peinture » au sens de « chose peinte ». Tous les éléments qui précèdent se regroupent en deux déterminants, l’un systématiquement présent (« pareil à un grouillement de vers »), l’autre facultatif (« sur une surface blanche »).


Énoncé complet

Reconstruction paléographique          *cay [ou : chay] iurac [ou : yurac] pampapi chichi
                                          curusina [ou : curu nirac] llastascata

Transcription normalisée                     kay [chay] yuraq pampa-pi chichiy kuru-sina
                                                                  llasta-sqa-ta


Traduction                                              «cette peinture qui ressemble à un grouillement
                                 de vers sur une surface blanche »


Énoncé abrégé

Reconstruction paléographique         *cay [ou : chay] chichi curusina [ou : curu nirac]
                                                                 llastascata

Transcription normalisée                    kay [chay] chichiy kuru-sina llasta-sqa-ta

Traduction                                              « cette peinture qui ressemble à un grouillement
                                                                  de vers »


Cette phrase apparemment énigmatique s’éclaire lorsque nous la rapprochons, de préférence sous sa forme complète, d’un épisode des versions boliviennes de la mort d’Atahualpa, particulièrement mis en relief dans celle de Chayanta où, à l’occasion de la rencontre d’un émissaire inca et des chefs espagnols, les seconds remettent au premier un message écrit. De retour dans son camp, l’émissaire montre au souverain et à ses dignitaires le message qui provoque une perplexité générale. À tour de rôle, les Incas s’efforcent sans succès d’en percer le sens, comparant les caractères qui y sont tracés à divers objets, notamment à un grouillement de fourmis (48).

Reste que cette interprétation semble invalidée par d’autres éléments du texte de Manás, notamment la référence à un livre (« Libro ») qui s’identifie aux Évangiles (« Evangelios ») et qui, à un moment donné, est jeté à terre (« bota el Libro ») (49). Tout ceci renvoie à une autre scène typique des drames de la mort de l’Inca, celle qui voit Atahualpa recevoir du père Valverde un exemplaire des Évangiles, le regarder avec suspicion et, n’en comprenant pas la fonction, le jeter avec mépris, provoquant l’intervention des soldats espagnols et le début du carnage. En réalité, aucune des références à ces deux scènes n’est dénuée de signification. Leur présence simultanée nous oblige simplement à postuler la fusion de deux épisodes présents dans une version plus ancienne : celui de la tentative de déchiffrement du message écrit et celui du rejet des Évangiles par le souverain péruvien. Voyons-y l’illustration d’un constat plus général : plus on remonte le passé des drames et plus ceux-ci manifestent d’affinités, résultat d’une portée considérable puisqu’il est l’un des indices les plus probants en faveur de l’origine commune des représentations de la mort d’Atahualpa.

Précisons pour terminer que la démarche intellectuelle dont nous venons de rendre compte date d’une époque où nous ne disposions que de la version de Manás. Par la suite (1995), à la faveur d’un premier travail de terrain au Pérou, nous avons pu recueillir le texte de Huancapón, d’une qualité très sensiblement supérieure, et prendre connaissance, par l’entremise d’Ana Baldoceda Espinoza, de celui d’Ambar, ce qui a grandement facilité notre entreprise de reconstruction philologique. Nous tenions néanmoins à montrer que celle-ci peut s’avérer fructueuse même lorsqu’elle ne s’appuie que sur un texte unique.


Les bénéfices de l’effet de parallélisme

La poésie préhispanique, que la civilisation inca avait porté à un haut degré de raffinement et qui survit dans la chanson andine actuelle, était fondée sur divers procédés stylistiques dont le plus important était la structuration du poème en couples de vers parallèles. Semblables du point de vue de la construction syntaxique et de la signification, les deux vers d’un même distique ne différaient que par quelques termes homologues qui, néanmoins, restaient proches par le sens.

De telles séquences jumelles, voisines ou distantes, ne sont pas rares dans les versions de la mort d’Atahualpa. Leur mise en évidence est une circonstance favorable pour le philologue, fondé à postuler la synonymie ou, tout au moins, l’affinité sémantique des termes homologues. Nous n’en voulons pour preuve que le cas de l’expression « llampa songo » tirée du texte de Manás et passablement obscure (50). Au début du même drame, nous relevons deux occurrences d’une autre expression, « misqui songo » (51), où sont visibles les lexèmes miski (« doux ») et sunqu qui signifie « cœur » au sens propre mais qui, nous le savons, exprime aussi la propension. Dans le contexte dans lequel nous trouvons ces deux termes, leur association ne peut signifier que « de bonne grâce », « volontiers ». Le parallélisme de construction de « misqui songo » et « llampa songo », mais aussi le fait que le second apparaisse dans deux répliques de Titu Atauchi adressées à son frère Atahualpa, donc à un personnage aimé et respecté, nous fait soupçonner une étroite affinité de contenu sémantique.

Une recherche menée dans cet esprit conduit à identifier le mot écrit « llampa » à l’adjectif llampu qui signifie « doux » (52). Nous comprenons du même coup selon quel processus est apparue l’erreur : l’adjectif llampu a été écrit « llampo », orthographe en accord avec le système trivocalique de la langue quechua. Cette orthographe s’est perpétuée de recopie en recopie jusqu’à ce qu’un copiste, moins averti que ses prédécesseurs, prenne les o finaux pour des a et les retranscrive comme tels.

Plus tard, une fois en possession du texte de Huancapón, nous avons pu constater que les expressions correspondantes étaient toutes les deux orthographiées « llampo songo », ce qui confirmait la justesse de l’hypothèse formulée (53).


La comparaison des versions d’une même famille

Pour illustrer les possibilités qu’offre la comparaison des versions d’une même famille, nous choisirons cinq séquences homologues extraites des quatre textes de Pomabamba et de celui de Llamellín. Nous savons que seuls deux de ces textes ont fait l’objet d’une publication : ce sont ceux qu’ont recueillis Rogger Ravines à Llamellín et Wilfredo Kapsoli à Pomabamba, respectivement dans la seconde localité citée et à Pomabamba. Les trois autres sont toujours inédits. L’un a été recueilli par Edmundo Guillén Guillén, les deux derniers par Darío Chávez de Paz. Pour les distinguer, nous aurons recours à l’identité de leurs propriétaires, telle qu’elle est indiquée par Chávez de Paz : Godofredo Terry et Juan Vergaray Retuerto.

Les cinq fragments cités sont des brefs échanges (trois répliques) entre deux protagonistes du camp espagnol : Pizarre et un conquistador du nom de Pedro qui ne peut être que Pedro de Candía. Ainsi nommé pour son origine crétoise, il était présent à Cajamarca et y commandait l’artillerie dont le rôle s’est révélé décisif. En accord avec les principes qui, nous l’avons vu, guident la répartition des deux langues utilisées dans les drames d’Atahualpa, le dialogue a lieu ici intégralement en espagnol. Nous nous rendrons compte que les problèmes que ce type de textes pose au philologue sont sensiblement différents de ceux que nous avons rencontrés dans les pages qui précèdent, essentiellement parce que l’espagnol, à la différence du quechua, n’est pas ignoré des copistes.


1. Version de Pomabamba recueillie par Wilfredo Kapsoli (p. 160)



PIZARRO

PEDRO



PIZARRO

Parece que el bárbaro vive muy confiado, ni el rumor del estruendo señal de nuestra entrada al castillo no ha sido suficiente.

Como es tanto la algarada y vocerío de la gente con la novedad de la Embajada, al ver gente nunca visto no pudieron dar campo ni lugar, todos quedaron confusos al susto asombrados, mas, si la vista no me engaña, allá lejos un bulto veo venir, que el aliento parece le ha venido según lo que amenazan.

Por mi orden dad fuego a otra pieza para que el bárbaro Monarca y la multitud de indios acaben de amedrentarse ; entretanto prevengamos y don Hernando de Soto apresure el paso para dar la nueva noticia de su visita y Embajada.




2. Version de Pomabamba recueillie par Edmundo Guillén Guillén


PIZARRO


PEDRO



PIZARRO

Parece que el bárbaro vive muy confiado, ni el rumor del estruendo señal de nuestra entrada al castillo no ha sido.

Como estando la algarada y vocerío de la gente con la novedad de la embajada, al ver gente nunca visto, no pudiron dar campo ni lugar, todos quedaron confusos al susto asombrados, mas si la vista no me engaña allá lejos un bulto veo venir, que el aliento parece le han venido según lo que amenan.

Por mi orden dad fuego otra pieza para que el bárbaro Monarca y la multitud de indios acaben de amedrentarse ; entre tanto prevengamos, y don Fernando de Soto apresure el paso para dar la nueva noticia de su visita y embajada.


3. Version de Pomabamba recueillie par Darío Chávez de Paz et détenue par Godofredo Terry


PIZARRO


PEDRO



PIZARRO

Parece que el bárbaro vive muy confiado, ni el rumor del estruendo señal de nuestra entrada al castillo no ha sido.

Como es tanto la algarada y vocerio de la gente con la novedad de la embajada, al ver gente nunca visto, no pudieron dar campo ni lugar todos quedaron confusos al susto asombrados más si la vista no me engaña allá lejos un bulto veo venir, que el aliento parece le han venido según lo que animan.

Por mi orden dad fuego otra pieza para que el bárbaro monarca y la multitud de indios acaben de amedrentarse ; entre tanto prevengamos y don Hernando de Soto apresure el paso para dar la nueva noticia de su visita y embajada.




4. Version de Pomabamba recueillie par Darío Chávez de Paz et détenue par Juan Vergaray Retuerto


PIZARRO



PEDRO

 


PIZARRO

Parece que el bárbaro vive muy confiado, ni el rumor del estruendo señal de nuestra entrada al castillo no ha ido.

Como es tanta la algasara y vocerio de la gente con la novedad de la embajada y al ver gente nunca visto, no pudieron dar campo ni lugar, todos quedaron confusion con el susto asombrador. Mas si la vista no mi angaña alla lejos un bulto veo venir, que al aliento parece le ha ido segun lo que caminan.

Por mi orden dad fuego otra pieza, para que el barbaro Monarca y la Multitud indios acaben de amedrentarse, entre tanto prevengamos, y Dn. Hernando de Soto apresure el paso para dar visita y embajada.



5. Version de Llamellín recueillie par Rogger Ravines (p. 23)



PIZARRO


PEDRO

 


PIZARRO

Parise que el barbaro bibe muy confiado pues que el rumor no a hoyido de nuestra entrada al castillo.

Como es tanta largasara y la boseria de la jente mucha con la nubedad de la embajada el ber jente nunca biste nada puede dar el campo y lugar que todo es confunciones se ocopa de soseso asombrados mas si la bista no me engaña alla a lo lejos venir bio un bolto que se debesa cual biento parise que alle be todo el aliento segun lo que camino.

Entre tanto que nos prebenimos que el barbaro y munarca de un Cruz acabe de a mi dentrada si con la multitud de los yndios dad fego otra piesa y que Fernando de Soto con el romor que oyera todo el pasa apresare para dar nueba nuticia de su bista y embajada.



Révélant au grand jour la duplicité des paroles de paix prononcées quelques instants plus tôt par Hernando de Soto lors d’une entrevue entre représentants des deux camps, Pizarre et Pedro de Candía délibèrent sur le meilleur moyen de soumettre les Indiens. Leurs propos laissent pourtant percer une dose certaine d’incohérence. Ainsi, pendant que Pizarre se rit de la naïveté d’Atahualpa, exempt de tout soupçon, son compagnon évoque la terreur que l’apparence des Espagnols a inspirée aux Indiens. Tout aussi incohérent est l’ordre donné par Pizarre de faire donner « une autre pièce [d’artillerie] », alors qu’aucune bouche à feu n’a encore été actionnée. En réalité, les dialogues en langue espagnole paraissent ne remplir d’autre fonction que de mettre en lumière les principaux traits de caractère des conquistadors, par exemple l’arrogance et la vanité, suggérés par un langage aussi ronflant que parfaitement creux.

Une différence de fond oppose le texte de Llamellín, résultat d’une série de copies qui, pour être très défectueuses, n’en apparaissent pas moins littérales, et les quatre de Pomabamba, dont le degré de correction supérieur pourrait être le résultat de modifications volontaires. Nous en avons en tout cas le pressentiment au vu de l’adoption, dans la partie quechua, de normes orthographiques récentes, étrangères à la graphie coloniale traditionnelle. L’examen des séquences en espagnol est-il de nature à confirmer ce diagnostic ?

Portons notre attention à la fin de la première réplique de Pizarre. Les trois dernières variantes de Pomabamba diffèrent par le verbe sur lequel elles se terminent (« no ha sido » / « no ha ido »), mais toutes les trois sont dépourvues de sens. La première en revanche en possède un, mais grâce à la présence de l’adjectif « suficiente » qui n’a d’équivalent ni dans les trois autres, ni dans la séquence homologue de Llamellín et qui, par conséquent, résulte selon toute vraisemblance d’un ajout. Dans le texte de Llamellín, le verbe homologue de « sido » ou « ido » est « hoyido », autrement dit oído, en parfaite adéquation avec le contexte, sans que l’on puisse soupçonner d’intervention volontaire. C’est donc sans aucun doute cette version qui, ici, est la plus proche de l’origine. À sa suite, par ordre de fidélité décroissante, nous placerons celle de Juan Vergaray Retuerto (« ido »), celle de Godofredo Terry (« sido »), celle d’Edmundo Guillén (« sido ») qui semble en être une variante dégradée et, enfin, celle de Wilfredo Kapsoli (« sido suficiente »).

Non moins significatif est le début de la réplique de Pedro de Candía. Dans les trois premières variantes de Pomabamba apparaît le terme « algarada », alors que nous rencontrons son homologue « algasara » (son orthographe correcte est algazara) dans la quatrième. Les deux vocables renvoient à l’idée de tumulte – au sens propre, algazara désigne le cri de guerre des Maures – et par conséquent concordent l’un comme l’autre avec le contexte. Pour sa part, la séquence de Llamellín nous offre la variante « largasara » qui n’appartient pas au lexique espagnol mais qui résulte de toute évidence de la déformation de « algasara », ce qui nous assure que la forme originelle s’identifie à ce dernier terme. Quoique, dans ce cas, le texte le plus proche de la version primitive soit celui que Darío Chávez de Paz recueillit de Juan Vergaray Retuerto, celui de Llamellín, en présentant une forme involontairement fautive, est le seul capable de désigner, entre les variantes en présence, celle qui correspond à l’origine.

En définitive, nous sommes fondé à attribuer à la version de Llamellín le statut de texte de référence au sein de la famille Llamellín-Pomabamba, autrement dit à considérer, en cas de divergence, que la forme présente dans cette version ou, à défaut, celle qu’on peut reconstituer à partir d’elle, est celle qui a la plus forte probabilité de concorder avec l’énoncé originel.

Cela étant, nous savons que la reconstruction peut s’avérer impossible du fait des nombreuses dégradations subies par la version de Llamellín. Dans ce cas, il est légitime de faire appel aux versions de Pomabamba. Parmi elles, les résultats de notre analyse comparative nous conduisent à privilégier le texte de Juan Vergaray Retuerto, celui, précisément, dont la graphie quechua a subi les mutations les moins radicales.


La comparaison de versions de familles différentes

Peut-on escompter une meilleure connaissance de notre corpus d’une comparaison qui porterait sur des versions issues de familles distinctes ? En théorie, rien ne l’interdit, dès lors que les drames de la mort d’Atahualpa ont tous une origine commune. Dans la pratique, les différences considérables qui séparent les trois familles du Pérou central rendent cette voie très aléatoire. Parfois, cependant, elle peut déboucher sur des résultats appréciables, comme en témoigne l’exemple ci-après de la comparaison de deux séquences, l’une extraite du texte de Llamellín, l’autre de celui de Llapo édité par Teodoro Meneses.

Dans la version de Llamellín, au sein d’une réplique de l’Inca (Atahualpa), nous trouvons, intercalée entre les termes d’adresse « runa yurac uyayoc », lourdement fautifs, comme nous le savons, mais parfaitement compréhensibles (yuraq uya-yuq runa : « homme au visage blanc ») (54) et l’interrogation « ymatamaninque » (reconstituée ima-ta-m ni-nki? : « que dis-tu ? »), la séquence « Gampelayo ampati yna ucrucusma pachallicusca », formée de mots en partie incompréhensibles (55). Ces paroles sont adressées par le souverain péruvien à fray Vicente Valverde qui lui demande l’autorisation de lui parler.

Dans la version de Llapo recueillie par Teodoro Meneses, nous relevons la réplique suivante de l’Inca : « Huanca vilcaruna imatam villaguanqui cay ocrocusma sampilayo pacha llicuypac ampa tojina sunca sapra » (56) qui présente une affinité évidente avec celle de Llamellín. Comme dans cette dernière version, Atahualpa est en présence d’un prêtre, ici simplement désigné par la mention « padre » mais que tout contribue à identifier à Valverde. Contrairement à l’Inca de Llamellín, il s’adresse à lui, non pas directement mais par l’entremise de Felipe. C’est ce que nous déduisons du début de la réplique, où le terme d’adresse wankawillka runa (« homme [de l’ethnie] Huancavilca ») ne peut faire référence qu’à l’interprète des Espagnols. La suite est plus embarrassante. Nous reconstruisons ainsi les premiers mots : ima-ta-m willa-wa-nki kay… ? (« que me dis-tu ce… ? ») dont l’incohérence flagrante nous oblige à postuler l’emploi erroné de la désinence de seconde personne -nki à la place de celle de troisième personne -n, laquelle ferait référence au prêtre espagnol (« que me dit ce… ? »). Sous cette réserve, indispensable si nous voulons restituer une logique à l’énoncé, il apparaît que toute la fin de la réplique (« cay ocrocusma sampilayo pacha llicuypac ampa tojina sunca sapra ») est une désignation, probablement métaphorique, du père Valverde.

Résumons : nous disposons de deux séquences qui, sans s’identifier l’une à l’autre, présentent tout de même des similitudes formelles notoires et dont nous savons, en outre, qu’elles sont prononcées toutes les deux par l’Inca et font référence au prêtre Valverde. Des comparaisons internes aux familles de Llamellín-Pomabamba et de Llapo seraient ici sans effet car les versions de Pomabamba n’offrent que des variantes très dégradées de la séquence de Llamellín et, par ailleurs, le texte de Llapo recueilli par Darío Chávez de Paz est strictement identique à celui de Teodoro Meneses. La seule voie possible est donc la comparaison des énoncés cités plus haut, « Gampelayo ampati yna ucrucusma pachallicusca » (Llamellín) et « cay ocrocusma sampilayo pacha llicuypac ampa tojina sunca sapra » (Llapo).

Commençons par repérer les éléments homologues ; ils sont au nombre de quatre :



Llamellín

Llapo

Gampelayo

sampilayo

ampati yna

ampa tojina

ucrucusma

ocrocusma

pachallicusca

pacha llicuypac




Examinons successivement ces éléments et tâchons de leur donner un sens, en prenant pour hypothèse de travail qu’ils se réfèrent à des religieux espagnols vus par des indigènes des Andes au moment de la Conquête.

Consacrons-nous tout d’abord au terme « pachallicusca » qui est celui qui oppose le moins de résistance à l’explicitation. En lui, nous reconnaissons sans peine pacha-lliku-sqa. La racine verbale pacha-lliku- est formée par la composition du substantif pacha (« habit ») et du verbalisateur -lliku-. Le sens résultant est celui de « revêtir un habit ».

Dès lors que le déverbal accompli pacha-lliku-sqa signifie « habillé », il paraît naturel que « ucrucusma » désigne un vêtement. En recherchant plus particulièrement dans ce champ sémantique, il ressort que le mot kusma désigne dans le parler actuel d’Ayacucho la tunique longue en usage parmi les populations selvicoles (57), et que sa variante kushma est présente avec un sens identique dans les parlers du groupe Junín-Huanca appartenant à l’ensemble quechua 1 (58). Il vient immédiatement à l’esprit que ce terme pourrait se référer à l’habit ecclésiastique. Notons que cette comparaison avec un vêtement utilisé par des groupes ethniques perçus comme culturellement inférieurs – ceux du bassin amazonien – colore le terme en question de fortes connotations péjoratives (59). Reste à percer la signification des deux syllabes « ucru » ou « ocro » qui précèdent kusma dans « ucrucusma » ou « ocrocusma ». Nous ne voyons d’autre possibilité que le substantif ukru qui désigne un trou dans certains parlers quechua 1 du groupe Ancash-Huailas (60) et qui se retrouve sous la forme uklu dans le groupe Junín-Huanca (61) relevant du même ensemble dialectal. À quoi correspond ce « trou »? Nous proposons d’y voir la capuche caractéristique de l’habit franciscain (62).

Venons-en à « ampati yna » (version de Llamellín) et « ampa tojina » (version de Llapo). La confrontation des deux variantes ne laisse aucune place au doute : l’expression originelle est hampatu hina, qui signifie « semblable à un crapaud ». C’est peut-être la tonsure des religieux espagnols qui, ici, serait à l’origine de cette désignation, elle aussi bien peu flatteuse.

Penchons-nous enfin sur « sampilayo » et « Gampelayo ». La seconde forme, qui est extraite de la version de Llamellín, a de toute évidence subi une transformation. Dans la première, nous distinguons la racine sampi, variante de hampi en usage notamment dans les parlers du groupe Junín-Huanca (63). Les deux variantes désignent « la guérison », « le remède », mais aussi « le poison » et, de façon plus générale, toute substance, tout instrument et toute technique supposés mettre en jeu des forces surnaturelles. Nous interprétons « sampilayo » comme sampi-lla-yuq, autrement dit « le possesseur de sampi ». Comme les deux précédentes, cette expression peut s’appliquer à des ecclésiastiques ; comme elles aussi, elle n’est pas dénuée de connotations péjoratives. En fin de compte, en nous limitant à la variante de Llamellín, la plus cohérente des deux (64), la séquence que nous nous sommes proposé d’expliciter peut être ainsi reconstruite : sampi-lla-yuq hampatu hina ukru kusma pacha-lliku-sqa ou, dans un ordre plus conforme à la syntaxe quechua : ukru kusma pacha-lliku-sqa hampatu hina sampi-lla-yuq. Pour respecter l’intention ironique qui perce sous ces mots, nous suggérons de les traduire ainsi : « sorcier pareil à un crapaud vêtu d’une longue tunique ».


Conclusion

Confronté à des textes rendus souvent incompréhensibles par leur état de dégradation, parce qu’issus de copistes qui ignoraient jusqu’à la langue dans laquelle ils sont écrits, le spécialiste de la critique textuelle, nous pensons l’avoir montré à travers les exemples qui précèdent, n’est pas désarmé. Pour relever le défi, il doit posséder de vastes connaissances philologiques pour suppléer celles, désormais extrêmement lacunaires, des copistes ; mais aussi, un savoir pratique fait de multiples « ficelles » correspondant à des situations très diverses. Répondre à ce besoin, telle a été l’ambition de notre travail.



Notas

(1). Premier exposé de la série "La critique génétique : théorie, pratique et perspectives éditoriales".

(2). Jean-Philippe Husson, Une survivance du théâtre des Incas : le cycle dramatique de la mort d’Atawallpa, thèse de doctorat d’État, Paris, Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III, 1997, 3 tomes. Cette thèse est restée inédite mais l’une des versions du corpus a fait l’objet, quelques années plus tard, d’une édition critique : Jean-Philippe Husson, La mort d’Ataw Wallpa ou La fin de l’Empire des Incas : tragédie anonyme en langue quechua du milieu du XVIe siècle, édition critique trilingue (quechua-espagnol-français), avant-propos de Nathan Wachtel, Genève, Éditions Patiño (série « Littératures et cultures latino-américaines »), 2001.

(3). L’approche méthodologique et les principaux résultats de cette étude font l’objet de l’exposé de Laëtitia Mathis, publié dans ce volume sous le titre « La danse de la Conquête au Mexique : signification, origine et évolution ».

(4). VI Congreso Peruano del Hombre y la Cultura Andina, Dramas coloniales en el Perú actual, Lima, Universidad Inca Garcilaso de la Vega, 1985, p. 87.

(5). Ibid., p. 18.

(6). Ibid., pp. 100-101.

(7). À l’exception de la version de Llapo (cf. infra, note 15).

(8). Ce qui n’exclut pas une certaine hétérogénéité, à la fois spatiale (coexistence de traits caractéristiques de parlers distincts, quoique appartenant tous au sous-ensemble quechua 2 méridional) et temporelle (présence d’archaïsmes), source de précieux renseignements sur le passé de cette composante de la tradition.

(9). VI Congreso Peruano..., op. cit., pp. 103-124.

(10). Références de la première édition : Ana Baldoceda Espinoza, La degollación del Rey Inca Atahualpa. Códice bilingüe (quechua-español), Lima, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, Facultad de Letras y Ciencias Humanas, Instituto de Investigaciones Lingüísticas, 1992. La seconde édition ne comporte aucune référence de lieu. Son titre est : Códice de la Relación del Rey Inca y de sus vasallos nombrados.

(11). Jean-Philippe Husson, Une survivance du théâtre des Incas…, op. cit., t. 3, pp. 1081-1115.

(12). VI Congreso Peruano..., op. cit., pp. 18-39.

(13). Wilfredo Kapsoli, « La muerte del Rey Inca en las danzas populares y la relación de Pomabamba », Tierradentro (Lima) 3 (3), 1985, pp. 139-176.

(14). Teodoro Meneses Morales (ed.), La muerte de Atahualpa. Drama quechua de autor anónimo, Lima, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 1987.

(15). Le drame de Llapo constitue un cas très particulier dans la mesure où, contrairement au reste des versions qui font l’objet de cette étude, il n’est (ou était) pas mis en scène dans une zone dont le parler vernaculaire relève (ou relevait) de l’ensemble quechua 1. La province de Pallasca, comme le département de La Libertad qu’elle jouxte sur sa frontière nord, était en effet de langue culli jusque vers le milieu du XXe siècle, date de son extinction. De ce fait, la présence du quechua 1 s’efface presque totalement devant celle du quechua 2 méridional, ce qui, soit dit en passant, confirme avec éclat la thèse de l’origine commune des versions péruviennes et boliviennes et la provenance méridionale des versions primitives. Du point de vue de la faisabilité de l’étude philologique, cette caractéristique signifie que le texte du drame a été reproduit par des copistes qui en ignoraient complètement la langue depuis au minimum deux siècles, cas extrême de la situation dont cette étude se propose de rendre compte.

(16). Le terme « inca » est à prendre dans son sens propre, très restrictif, de clan rassemblant le souverain et ses dignitaires. Le camp autochtone, dans les drames de la mort d’Atahualpa, n’est jamais une masse indienne indifférenciée.

(17). En quechua, langue agglutinante, le mot commence invariablement par un morphème lexical unique, auquel fait suite une série d’affixes grammaticaux. La césure intervient donc nécessairement entre le dernier affixe et le lexème suivant.

(18). À comparer notamment au russe dont la structure syllabique autorise la présence de quatre consonnes consécutives précédant la voyelle, comme dans vstretcha : « rencontre », « réunion ».

(19). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 20.

(20). La présence d’un chœur féminin, dont on notera avec intérêt les affinités avec celui de la tragédie grecque antique – comme celui-ci, il exprime le point de vue de la cité –, est l’une des principales constantes des représentations de la mort d’Atahualpa, tant péruviennes que boliviennes. Les désignations des choristes, palla dans les premières, ñust’a dans les secondes, font respectivement référence aux femmes et aux jeunes filles de la noblesse inca.

(21). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 119.

(22). Ibid., p. 111.

(23). Jean-Philippe Husson, Une survivance…, op. cit., pp. 1093 (3ème strophe de la complainte) et 1108 (1er vers), respectivement.

(24). Jean-Philippe Husson, La mort d’Ataw Wallpa…, op. cit., pp. 350-353. Ces mentions ne sont pas sans rapport avec la réalité historique puisque une partie de la noblesse inca, refusant la domination espagnole, se réfugia dans la région de Vilcabamba où elle constitua un royaume insoumis – appelé royaume néo-inca – qui réussit à se maintenir durant trente-cinq ans, jusqu’en 1572. Plusieurs indices convergents tendent à désigner précisément Vilcabamba comme le foyer originel des représentations de la mort d’Atahualpa.

(25). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 123.

(26). Ibid., pp. 117 (3 occurrences), 118, 119, 121, 122 (1 occurrence chacune).

(27). Ibid., p. 31.

(28). Parmi les personnages cités, le seul qui corresponde à la réalité est Quisquis, général d’Atahualpa. l’Inca Tupa Yupanqui a lui aussi une existence historiquement attestée mais sa présence dans le drame est anachronique puisqu’il régna à la fin du XVe siècle. Le nom de Sinchi Runa (littéralement : « vaillant homme ») ne fait référence à aucun individu en particulier. Quant à Catequilla, il était, à l’époque préhispanique, la divinité de la foudre dans la zone limitrophe des actuels départements péruviens d’Ancash et de La Libertad.

(29). Gary J.[ohn] Parker, Amancio Chávez Reyes, Diccionario quechua : Ancash-Huailas, Lima, Ministerio de Educación, Instituto de Estudios Peruanos, 1976, p. 31.

(30). Rodolfo Cerrón-Palomino, Diccionario quechua : Junín-Huanca, Lima, Ministerio de Educación, Instituto de Estudios Peruanos, 1976, p. 115.

(31). « ...allpa cuntaita rurayanquenam » (VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 28).

(32). Le mot tayta pourrait résulter de la fusion de tata, dont l’origine est la désignation affectueuse du père en latin, et présent, lui aussi, dans divers parlers populaires, et de son homologue basque aita.

(33). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 32.

(34). Atahualpa a proposé de faire remplir d’or et d’argent l’une des pièces du bâtiment où il était retenu prisonnier – pièce connue, dès lors, sous le nom de cuarto del rescate –, à Cajamarca, jusqu’au niveau signalé par sa main. Versée pour l’essentiel, cette fabuleuse rançon n’empêcha pas l’Inca d’être condamné à mort et exécuté, au terme d’une parodie de procès.

(35). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 32.

(36). Nous relevons la première occurrence dans la scène qui correspond à la rencontre finale entre Indiens et Espagnols (ibid., p. 29).

(37). Ce personnage apparaît notamment dans la chronique de Martín de Murúa (Martín de Murúa, Historia general del Perú, Madrid, Historia 16 (coll. « Crónicas de América », 35), 1987, pp. 144 sq.).

(38). VI Congreso Peruano…, op. cit., p. 107.

(39). Ibid., p. 108.

(40). « Titu » est un élément constituant de divers anthroponymes d’origine préhispanique. Quant à « Atauchi », il est visiblement formé sur le terme Ataw qui désigne la victoire et que nous retrouvons dans « Atahualpa » (Ataw Wallpa : « celui qui apporte la victoire »).

(41). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 108.

(42). Ana Baldoceda Espinoza, Códice de la Relación..., op. cit., pp. 64, 66, 68, 70, entre autres.

(43). Pour le texte de Manás : VI Congreso Perano..., op. cit., pp. 104, 105, 106 et 113. Dans celui d’Ambar, nous relevons, à côté de l’orthographe « Yachacmauta » (Ana Baldoceda Espinoza, Códice de la Relación…, op. cit., p. 58, par exemple), des formes diverses, non significatives dans la mesure où elles résultent de simples erreurs de copie ou de dictée (« Llachaumauta », p. 48 ; « Yachac manta », p. 56).

(44). VI Congreso Perano..., op. cit., p. 110.

(45). Outre pampa, citons le mot qucha qui désigne une étendue d’eau quelconque, d’une simple flaque jusqu’à l’océan, ou encore pata dont les sens très divers, « le banc », « la terrasse », « le replat », ont en commun d’évoquer des surfaces planes bordées de versants abrupts.

(46). Gary J.[ohn] PARKER, Amancio CHÁVEZ REYES, op. cit., p. 52.

(47). Ibid., p. 88.

(48). Jean-Philippe Husson, La mort d’Ataw Wallpa…, op. cit., pp. 288-291. Cette version, la plus intéressante de la composante bolivienne de la tradition, a été recueillie par l’écrivain bolivien Jesús Lara et publiée par lui en 1957 (Jesús Lara, Tragedia del fin de Atawallpa, Cochabamba, Imprenta Universitaria, 1957).

(49). VI Congreso Perano..., op. cit., p. 110.

(50). Ibid., p. 108 (dernière réplique de Titu Atauchi, indiquée « TITUA ») et p. 110 (réplique de Titu Atauchi placée sans indication spécifique sous la mention marginale « REY » désignant Atawallpa).

(51). Ibid., p. 103 (dans une réplique des sinchi ou guerriers adressée aux « capitaines » Chalcuchima, Rumiñahui et Pachacamac ; cette réplique n’est pas indiquée par une mention marginale spécifique, elle figure sous la mention « CAPITAN ») et p. 104, ligne 3 (réplique de Huascar à Chalcuchima).

(52). Présent aussi bien dans les variétés quechua 1 que quechua 2. Il est notamment attesté par le dictionnaire de Parker et Chávez Reyes avec la définition « Suave » (Gary J.[ohn] Parker, Amancio Chávez Reyes, op. cit., p. 92).

(53). Jean-Philippe Husson, Une survivance…, op. cit., pp. 1089 (Titu Atauchi) et 1092 (1ère réplique de Titu Atauchi).

(54). Rappelons que l’incorrection tient à ce que le déterminant yuraq uya-yuq (« visage blanc ») suit le déterminé runa (« homme »), alors que l’ordre inverse s’impose en toutes circonstances en quechua. Mais peut-être y a-t-il dans cette faute une intention ironique.

(55). VI Congreso Peruano..., op. cit., p. 29.

(56). Teodoro Meneses Morales (ed.), La muerte de Atahualpa. Drama quechua de autor anónimo, Lima, Universidad Nacional Mayor de San Marcos, 1987, p. 61, réplique 222.

(57). « Larga túnica de los salvajes de la selva » (Pedro Clemente Perroud, Juan María Chouvenc, Diccionario castellano kechwa, kechwa castellano : dialecto de Ayacucho, Santa Clara, Pérou, Seminario San Alfonso, 1972, p. 89).

(58). Rodolfo Cerrón-Palomino, Diccionario..., op. cit., p. 73.

(59). Particulièrement révélateur est le terme « salvajes » de la définition de Perroud et Chouvenc, citée ci-dessus.

(60). Gary J.[ohn] Parker, Amancio Chávez Reyes, op. cit., p. 179.

(61). Rodolfo Cerrón-Palomino, Diccionario..., op. cit., p. 137.

(62). Du point de vue de la réalité historique, le père Valverde était dominicain mais le chroniqueur indien Guaman Poma de Ayala le présente comme un franciscain.

(63). Rodolfo Cerrón-Palomino, Diccionario..., op. cit., p. 117.

(64). En particulier, la forme pacha-lliku-y-paq, qui signifie « pour se vêtir », et la séparation de ce composé et de ukru kusma, contraire à la logique, ne permettent pas d’attribuer un sens, en l’état, à la variante de Llapo. À noter enfin la présence des termes sunka et sapra, absents dans la variante de Llamellín, qui désignent dans des aires dialectales différentes les pilosités du visage, caractéristique immédiatement perçue chez les Espagnols par les Indiens.