Entre Histoire et Littérature en Amérique Latine: du XIXème siècle à nos jours


Présentation de la Journée d'études des doctorants (30/04/2018)
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Peut-on imaginer des textes qui soient à la fois de l’histoire et de la littérature ? L’idée que l’on reprend ici, est d’Ivan Jablonka qui indique dans son œuvre, L'histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales (2014) que l’écriture de l’histoire n’est pas seulement une technique (annonce de plan, citations, notes de bas de page), mais un choix. Le chercheur se retrouve alors face à une « possibilité d’écriture » et une « possibilité de connaissance », la littérature est dotée d’une aptitude historique, sociologique et anthropologique (p. 7).

Pourquoi commencer au XIXème siècle ? En Amérique latine, le XIX siècle marque la naissance des jeunes nations de même que la recherche d’une identité propre dont l’affirmation est passée entre autres, par l’écriture. Si l’on prend le cas du roman, comme le souligne Doris Sommer dans Ficciones fundacionales : las novelas nacionales de América latina, il s’est développé simultanément avec l’histoire patriotique. Le concept de « roman national » en Amérique latine fait référence au livre en tant que témoignage privilégié de l’histoire locale. Le roman est un exemple parmi d’autres des interrelations entre littérature et histoire. Fort est de constater que les romans nationaux du XIX siècle ont procédé à une réécriture de l’histoire et constituent de précieux indicateurs de l’imaginaire de l’époque en raison de leur tendance à être plus « projectifs » que fidèles aux évènements.

À l’époque d’Aristote, l’histoire faisait partie de la poétique, c’est-à-dire de ce qui était littéraire. De la même façon, la littérature peut s’étudier de trois façons : comme source, comme monde social et comme pratique d’écriture. La conception littéraire comme source est la plus ancienne. À la fin du XVIII siècle, se consolide une génération d’auteurs décrivant de façon très précise leurs sociétés (jusqu’à arriver au réalisme au XIX siècle), qui fait des livres les bases de référence principales, comme on peut le remarquer chez Balzac ou Zola, en France, ou avec le roman de peinture de mœurs, El periquillo sarniento de José Joaquín Lizardi, au Mexique.

L’historiographie du XIX siècle en Amérique latine se nourrit, à ses débuts, de la littérature comme point de départ pour composer une histoire nationale. Par exemple, au Mexique, on peut se référer à l’œuvre de Conrado Gilberto Cabrera Quintero, La creación del imaginario indio en la literatura qui rompt avec les méthodologies traditionnelles de recherche historique. Par exemple, dans cet œuvre, l’accent se porte sur l’importance de lettrés au XIX siècle et sur l’idée que l’on se faisait de l’indien. L’œuvre amplifie les connaissances historiques et littéraires sur le XIX siècle aidant ainsi à comprendre la complexité du Mexique contemporain. Comme il le dit lui-même dans son prologue:

La idea central de este trabajo es mostrar cómo los literatos mexicanos del siglo XIX, a través de sus obras, construyeron el imaginario de lo indio y del indio, por encima de sus diferencias políticas, sociales religiosas e incluso filosóficas, con la evidente finalidad de conformar un sustento más de la identidad nacional. (1)
(Quintero, La creación del imaginario indio en la literatura, p. 10)

Cependant, la littérature dans son manque d’objectivité en raison de sa nature propre, formée de représentations et de points de vue, explique pourquoi l’objet littéraire actualise un mode de pensée en lien avec une époque précise. De plus, la littérature n’est pas seulement source, mais aussi, pour les historiens, un objet social. Depuis Aristote, l’histoire littéraire a représenté un ensemble d’histoires d’idées ; en ce sens, on peut dire qu’il existe une vision de la littérature qui sert de porte d’entrée à la vie sociale d’une époque. Cette vision se dérive, naturellement, de la perception que l’on a de son insuffisance en tant que fondement purement objectif de faits neutres.

Si l’on considère la littérature comme un phénomène historique, qui entre en contact avec des phénomènes sociaux et politiques, on peut voir que, par exemple, littérature et politique sont très liées, cette dernière étant presque toujours vue comme une offre remplie d’opinions et de prises de positions diverses. Mais on peut aussi estimer que le fait d’opter pour un type d’écrit en particulier pourrait avoir une portée politique. Ainsi, l’écriture est toujours un acte politique (une aporie dérivée du dogmatisme du New Criticism des années 40 et du structuralisme des années 50), comme le souligne Roman Jakobson, dans What is poetry? (1976), à travers le questionnement sur le fait que la littérature est un objet autonome et suffisant à lui-même :

Neither Tynjanov nor Mukaovský nor Šklovskij nor I have ever proclaimed the selfsufficiency of art. What we have been trying to show is that art in an integral part of the social structure, a component that interacts with all the others and is itself mutable since both the domain of art and its relationship to the other constituents of the social structure are in constant dialectical flux. What we stand for is not the separatism of art but the autonomy of the aethetic function (pp. 377-378).

Cet état des lieux nous conduit à analyser les relations entre histoire et littérature en Amérique Latine du XIX jusqu’à nos jours. À partir des axes d’études suivants :

  • Une histoire scientifique au détriment de l’écriture ou une histoire littéraire au détriment de la vérité ;
  • Une littérature du réel : une écriture du monde ;
  • Une écriture littéraire de l’histoire ;
  • Une écriture historique : écrire l’histoire, « parler à travers l’écrit » ;
  • Paradigmes entre un discours officiel et un discours oublié.

Nous avons reçu plusieurs propositions qui nous ont amenés à discuter ces thèmes et ont aboutis à la proposition d’une publication spéciale dans Escritural afin d’ouvrir le débat à la communauté hispanophone.

Bibliographie

Jablonka, Ivan. L'histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales. Paris: La librairie du XXI siècle, Seuil, 2014.

Sommer Doris. Ficciones fundacionales: las novelas nacionales de América latina. México: Fondo de Cultura económica, 2004.

Quintero, Conrado Gilberto Cabrera. La creación del imaginario indio en la literatura. Puebla: Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, 2005.

Jakobson, Roman. What is poetry? Paris : éditions de Minuit, 1976.

Notas

(1) Traduction personnelle: “L’idée centrale de ce travail est de montrer comment les écrivains mexicains du XIX siècle, à travers leurs œuvres, ont construit l’imaginaire de ce qui est indien et de ce qui relève de l’indien, par-delà leurs différences politiques, sociales, religieuses et même philosophiques, avec comme fin évidente de former un fondement supplémentaire à l’identité nationale.