La relation entre Monsieur Cantel et moi, est une affaire de famille qui commence à Poitiers en 1942, quand ma mère s’inscrit à l’Université pour y suivre des cours de portugais. La guerre interrompt les rêves de lusophonie de ma mère qui les réalisera in situ au Brésil où mes parents – et leurs enfants avec eux – se sont installés en 1948.
Vingt ans plus tard, de retour en France, ma sœur aînée s’inscrit à Paris III pour y faire des études de portugais. Parmi ses enseignants, le directeur du département de portugais, Raymond Cantel.
Cinq ans plus tard j’intègre à mon tour le département de portugais de Paris III. Troisième Dreyfus de la carrière de Monsieur Cantel.
Pour moi, il est tout à la fois « le professeur de maman et de ma sœur », l’auteur de la bible incontournable de tout lusitaniste sérieux de mon époque – le Précis de Grammaire portugaise et celui qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature de cordel qui a bercé mon enfance dans le Nordeste et qui est une part importante de ma culture. Monsieur Cantel donnait la plupart de ses cours à la Sorbonne, dans une petite salle attenante à la bibliothèque des Études portugaises, brésiliennes et d’Afrique Lusophone. Avec sa joviale sérénité, il devait, à chaque cours, négocier l’occupation des lieux avec le professeur Bourdon. Bien qu’à la retraite depuis quelques années, ce dernier poursuivait ses recherches et avait fait de cette salle son bureau.
Grâce aux cours de Monsieur Cantel, je suis passée de la connaissance intuitive de la littérature de cordel à la compréhension des fondements de cette forme littéraire. Mais plus encore, j’ai compris qu’à l’Université, il était possible de se consacrer à l’étude de la culture populaire.
Dernier épisode de la saga luso-familiale, Monsieur Cantel a dirigé mon mémoire de maîtrise. Mettant en pratique son enseignement, je lui ai proposé un sujet pas vraiment conventionnel pour l’époque : « Le discours amoureux dans la samba ». Imperturbable, il l’a accepté. La samba ne faisait pas vraiment partie de sa culture, m’a-t-il néanmoins avertie, mais l’idée lui plaisait. Il fut un directeur attentif, enthousiaste et modeste : lors de la soutenance, il s’excusa presque de contester le terme « materner » que j’avais utilisé et qu’il n’avait trouvé dans aucun dictionnaire.