Tout d’abord, un mot de remerciement à Michel Riaudel, Sandra Teixeira et plus généralement aux organisateurs de cet hommage à Raymond Cantel. Sans oublier Annick Moreau qui s’est souvenue du rôle déterminant que Raymond Cantel a joué dans ma carrière universitaire et qui a bien voulu le signaler aux organisateurs.
Un souvenir, une image qui datent de plus d’un demi-siècle : septembre 1961, le bureau de travail de Raymond Cantel avenue de la Libération à Poitiers, dans une grande maison de ville où il vivait avec son épouse et leur fils unique, interne au lycée de Montmorillon.
Pourquoi Poitiers, pourquoi Raymond Cantel ? Par un de ces détours où s’inscrit souvent la destinée de chacun. Ce détour a d’abord pour nom un établissement scolaire, une capitale et un pays à une époque où le Président Salazar exerçait un pouvoir dictatorial depuis près de trente ans : cet établissement, c’est le lycée français de Lisbonne, Charles Lepierre, où j’avais obtenu un poste de répétiteur après avoir passé le second baccalauréat dans l’académie de Caen (je dis le second car il y avait deux baccalauréats en 1960). Ce détour a ensuite pour nom celui du meilleur ami de Raymond Cantel, monsieur Bonnaud, professeur d’espagnol et de portugais au lycée Charles Lepierre ; Raymond Cantel et lui s’étaient liés d’amitié pendant leurs études à Poitiers. C’est par lui que j’ai appris que Raymond Cantel avait un surnom et qu’on l’appelait Cantelzinho en raison de sa petite taille, mais aussi et surtout parce qu’il suscitait d’emblée la sympathie.
J’étais devenu l’ami de M. Bonnaud en apportant ma modeste contribution à un manuel d’exercices d’application pour l’apprentissage du portugais, manuel destiné à un public francophone ; le projet était vivement encouragé par Raymond Cantel qui voyait là un heureux complément à sa propre grammaire, la célèbre grammaire Cantel qui a formé en France des générations de lusitanistes. À la fin de mon année scolaire au lycée Charles Lepierre, j’avais pris la décision de revenir en France pour y rester définitivement, après avoir compris que là était mon identité nationale. Je comptais m’inscrire à l’université de Caen pour faire une licence de Philo ou de Lettres Classiques, mais je voulais aussi faire une licence de portugais, tout en sachant qu’il n’y avait à l’époque ni CAPES ni Agrégation de portugais. J’en avais discuté avec M. Bonnaud qui m’avait dit qu’il y avait peu d’universités en mesure d’assurer une licence de portugais et que Caen n’en faisait pas partie. Puis il avait ajouté :
Mais à Poitiers, c’est possible ; le directeur du département de portugais, c’est mon meilleur ami. Je sais que tes parents n’ont pas les moyens de financer tes études. Lui t’obtiendra une bourse pour la première année, l’année de propédeutique, une bourse spéciale pour étudiants étrangers. Mais elle n’est pas renouvelable. Si tu réussis à passer le barrage de l’examen de propédeutique, il pourra t’obtenir un poste de surveillant au lycée de Montmorillon. Le chef d’établissement, Bolinchès, est un ami de Cantel. C’est même le parrain de son fils. Une fois de retour en France, pense à faire les démarches pour obtenir la nationalité française, sinon tu ne pourras pas passer les concours pour devenir enseignant. Cantel t’aidera dans tes démarches.
Les choses se sont ensuite passées comme M. Bonnaud l’avait prévu ; grâce à Raymond Cantel, j’ai pu financer mes études à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Poitiers et réaliser mon projet d’une double formation, notamment en portugais où j’ai pu suivre les cours de Raymond Cantel dont la marque était un humanisme fondamental qui imprégnait aussi bien ses cours que ses relations avec les étudiants. Grâce à ses conseils d’orientation, j’ai pu aussi faire une licence de Lettres Modernes et non de Philosophie ou de Lettres Classiques. Il m’avait gentiment expliqué que les horaires dans l’une ou l’autre de ces deux disciplines n’étaient pas compatibles avec mon emploi de surveillant à Montmorillon, qui me contraignait à passer la moitié de la semaine à cinquante km de Poitiers.
Pour toutes ses raisons et bien d’autres, il restera vivant dans ma mémoire.